La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

Pour un usage éducatif et social du théâtre

Pour un usage éducatif et social du théâtre - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Chercheur et critique, professeur émérite à l’Université de Paris X-Nanterre,
Directeur du théâtre et des spectacles au Ministère de la Culture de 1981 à
1988, Robert Abirached a longuement réfléchi sur les rapports entre le théâtre
et l’Etat et sur le sens à donner à cet art.


Quelle est l’histoire des rapports entre le théâtre et l’Etat quant à la
formation ?

Robert Abirached : La formation des comédiens s’est longtemps faite dans
des compagnies et non dans des écoles. Dans le théâtre grec, dans la commedia
dell’arte, on appartenait à des familles ou à des troupes où se transmettait la
tradition. Les premiers usages du théâtre comme lieu ou objet de formation et
d’éducation commencent au 17e siècle. Les premières velléités de former les
comédiens ont commencé dans le dernier tiers du 18e siècle avec la création du
Conservatoire national de musique et de déclamation, entièrement pris en charge
et réglementé par l’Etat. La même maison délivrait l’enseignement du théâtre,
alors affaire de langage, et celui de la musique. C’est seulement après la
Seconde Guerre mondiale que le Conservatoire d’art dramatique a pris son
indépendance par rapport au Conservatoire de musique. Le Conservatoire, en
liaison avec la Comédie-Française, elle aussi organisme d’Etat, s’ajustait à la
manière dominante de faire du théâtre, par exemple selon la notion d’emplois. L’Etat
se reconnaissait des droits sur un théâtre maintenant le patrimoine et
contribuant à la création comme à la formation. Mais cette manière de jouer et
de concevoir le théâtre, imbibée de cette tradition, ne correspondait pas à
l’esprit du nouveau théâtre populaire et du nouveau théâtre moderne, d’où l’idée
de créer une école étendant le champ de la formation et s’ouvrant sur les autres
métiers du théâtre : l’école de Strasbourg devint la deuxième école prise en
charge non pas directement par l’Etat mais par un organisme subventionné par
l’Etat. Cependant, et toujours dans les années 50, les besoins du théâtre tel
qu’il était conçu et se pratiquait n?étaient plus du tout satisfaits par
l’existence de ces deux écoles. Se créèrent alors des cours privés qui vinrent
fournir des intervenants à la vie théâtrale. La France était couverte de
théâtres à l’époque et ces théâtres avaient besoin de comédiens. Si on examine
le désir de révolution contre le théâtre psychologique, le théâtre historique
voire le théâtre parlé, là aussi il n?y avait pas d’école et là aussi c’est
l’initiative privée qui apporta une réponse. Un nouveau type d’enseignement, à
l’instar de celui de Lecoq, explorant toutes les possibilités de partitions
étrangères au théâtre parlé, vit le jour, dans l’indifférence de l’Etat. Il faut
rappeler qu’il n?y avait pas de Ministère de la Culture à l’époque. Le Ministère
de la Culture a plus tard essayé de favoriser l’installation progressive d’un
maillage de conservatoires en région qui représentaient une sorte de label de
qualité authentifié par l’Etat : à Lille, à Montpellier, à Rennes, à Bordeaux,
etc. Le paysage de la formation, dans lequel nous sommes encore, s’est enrichi
en connaissant un premier moment de diversification à ce moment-là.

« Si on accepte de réfléchir à la manière d’introduire la scène artistique
dans la scène sociale, on peut changer la vie d’un pays. »

 

Pensez-vous que la création d’un diplôme de comédien puisse apurer les
difficultés du métier ?

R. A. : Dans les métiers artistiques, la notion de diplôme ne peut pas
apporter ce qu’on en attend. Si quelqu’un a un diplôme, il est à supposer qu’il
sait bien faire un certain nombre de choses mais ça ne garantit pas le génie de
l’acteur ni même le talent. On le voit très bien au cinéma où les gens ne sont
pas forcément recrutés sur leurs diplômes. Un diplôme peut garantir des
connaissances, des techniques, et éventuellement, dans un cadre donné,
l’intégration à une troupe qui fait un théâtre d’un certain type. Le diplôme
peut servir de repère mais je ne crois pas qu’il puisse canaliser la profession.
On prend en outre le risque d’un effet pervers : qu’est-ce qui empêcherait les
diplômés de se réunir en syndicat corporatiste et protectionniste pour que les
cinéastes et les metteurs en scène privilégient leur emploi comme le fait la
guilde des comédiens aux Etats-Unis ? Dans le système actuel, l’immense
inconvénient tient au fait que des gens très malhabiles et très maladroits
peuvent se glisser dans des distributions et des castings. Sur le marché,
coexistent des comédiens aux talents extrêmement variés qui ne peuvent pas
raisonnablement être tous employés et qui sont souvent obligés de se replier sur
un statut de semi-amateurisme. Tant qu’il y avait un système régulateur qui
autorisait les artistes à exercer leur métier de façon acceptable et intégrait
leurs périodes de chômage, c’est-à-dire tant que la collectivité permettait au
citoyen de pratiquer un art et d’avoir une activité alliant représentation,
formation continue et éventuellement activités annexes, les choses étaient
difficiles mais possibles. Mais si on supprime ce système ou si on en restreint
l’entrée (il semblerait qu’on ait réduit d’un tiers les flux d’entrants dans
l’intermittence), cela devient très préoccupant pour ces artistes et dommageable
pour la vie du spectacle. Le problème, c’est qu’on n?a jamais réussi à enquêter
sérieusement pour déterminer qui sont les vrais ayants droit dans cette affaire
et tâcher de réserver le statut d’intermittent aux seuls artistes. Je crois
qu’on peut faire des réformes mais la revendication qui reste est celle de la
nature de ce régime. Il faut que l’intention de réforme ne soit pas de le
réduire à toute force car ceux qui en bénéficient contribuent à l’équilibre de
la société. Si on croit que l’instauration d’un diplôme peut régler ce problème,
on se trompe et les conséquences artistiques seront terrifiantes.

« Si on instituait vraiment une éducation artistique, on pourrait trouver des
débouchés pour les artistes. »

Quelles solutions selon vous aux impasses de la formation et de l’exercice
artistique ?

R. A. : Le théâtre est arrivé à un point de confusion tel que la
situation ne peut qu’empirer si elle reste en l’état. Le système est fatigué. Or
je crois qu’existent des issues. Si on instituait vraiment une éducation
artistique, on pourrait trouver des débouchés pour les artistes. Tout dépend de
là où on veut mettre l’art dans la société. Soit on choisit de le maintenir dans
la rareté, soit on l’introduit dans des endroits où il est utile, comme dans les
écoles, dans les quartiers, dans les prisons. Il y a toute une réflexion à mener
sur la vision de la société. Si la création d’un diplôme n?a pas de sens dans
une perspective artistique, elle peut en avoir un dans la perspective d’une
application finalisée ou d’une implication sociale. Depuis vingt ans, plus
personne ne veut faire autre chose que de l’art et il y a plus d’étudiants
inscrits en arts du spectacle qu’en lettres modernes : que vont faire tous ces
gens ? Si on accepte de réfléchir à la manière d’introduire la scène artistique
dans la scène sociale, on peut changer la vie d’un pays. Le théâtre peut donner
une formation de base à beaucoup de gens qui ne trouvent pas leur compte
seulement dans les enseignements techniques et cela peut permettre par exemple
de ne pas réduire l’école à l’apprentissage d’un métier. C’est alors qu’on peut
revoir autrement l’idée de formation, en revenant à cette idée ancienne d’un
usage éducatif et social du théâtre.

Propos recueillis par Catherine Robert

Bibliographie : La Décentralisation théâtrale, 4 volumes sous la
direction de Robert Abirached. Actes Sud-Papiers. Robert Abirached, Le
Théâtre et le Prince
(2 volumes, L’Embellie et Un Système fatigué).
Actes Sud.

 

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