Campana du Cirque Trottola

Il est des spectacles dont on ne ressort pas indemne. La sensation d’avoir partagé une expérience hors du temps, d’avoir traversé une palette de sensations comme de sentiments, d’avoir vécu le trouble… et au bout du compte, la rencontre avec un ailleurs et un autrement saisissants. Campana appartient sans doute à cette catégorie-là. Pourtant, on pénètre sous le chapiteau du cirque Trottola presque rassurés par cette toile, cette piste, ce bois qui craque et ces musiciens. Comme si rien de grave ne pouvait arriver dans ce bel écrin. Des attendus habilement remis en cause dès l’arrivée des deux personnages, qui donnent tout de suite le ton. Lui dans son rôle de bucheron bourru, ours mal léché proche du Boudu, son clown-signature effrayant ; et elle en brindille échevelée. Ensemble, ils révèlent l’existence d’un peuple qui, d’habitude, n’a pas les honneurs du clinquant de la piste. Un peuple des bas-fonds, faits de corps perdus, oubliés, invisibilisés…

Un temps glissant et partagé dans l’émotion

Il y a du Beckett chez ces âmes perdues, mais aussi dans cet art de cultiver l’attente, qui fait toute la singularité du spectacle et le rend si fascinant. C’est un jeu d’apparitions que réserve une scénographie qui cache bien son jeu, faite de trappes et de surgissements incongrus. L’imagination va bon train quand des animaux prennent soudainement forme – et plus c’est gros, plus ça marche. L’émotion est à son comble lorsque Titoune disparaît et provoque chez l’inquiétant clochard une bouffée d’angoisse pleine d’amour. Rencontre entre le monde du dessous et les possibilités d’un envol symbolisé par quelques acrobaties, le spectacle réserve sa dimension spectaculaire au final, dont la préparation est en elle-même saisissante. Là où on attend la chute, c’est en fait une véritable érection qui advient. Impressionnante cloche (campana) qui vient bouleverser l’espace et nous rappeler le poids du temps, inexorable…

Nathalie Yokel