Je crois en un seul dieu
Dans une mise en scène minimaliste d’Arnaud [...]
Reprise exceptionnelle de la mise en scène créée au Festival d’Avignon en 2008, qui nous plonge dans un monde de manipulations, frustrations et passions. Avec six comédiens au cordeau, dont le phénoménal Lars Eidinger, Thomas Ostermeier explore les enjeux de la révolte inaboutie du jeune Hamlet.
« Ils sont vivants, les morts couchés sous la terre » dit Sophocle. Au théâtre ils font souvent entendre leurs voix dans le monde des vivants. Le jeune Hamlet, traumatisé par le spectre de son père assassiné, en sait quelque chose. La scène inaugurale, très belle, sous une pluie fine, montre l’enterrement du père, roi du Danemark, dans une veine burlesque qui moque le tragique rituel et rappelle, en flirtant avec le cinéma, l’incongruité qui caractérise le nouveau pouvoir. Le texte, amputé presque de moitié, est traduit en allemand par le dramaturge Marius von Mayenburg, et six acteurs interprètent une vingtaine de rôles. La même excellente comédienne, Judith Rosmair, joue Gertrude et Ophélie. Thomas Ostermeier a choisi de jouer la pièce sur la terre où gisent les corps des générations précédentes, montrant que les pères et les pères des pères demeurent liés aux nouvelles pousses, qui doivent lutter pour se libérer de leur emprise. La terre omniprésente qui rappelle à chacun sa mortalité parfois macule les corps et les visages, s’engouffre dans les bouches, exprime la douloureuse difficulté de trouver sa place dans un monde barbare et décadent de fin de régime. Comme symptôme alarmant de cette déliquescence, une famille pervertie : Claudius, un oncle d’une élégance inquiétante et glacée qui a pris la place du père, et Gertrude, une mère puissante, sexy et manipulatrice.
Un bouffon inadapté au monde
Une table de banquet délimite le fond de la scène, symbole ironique où trône un pouvoir immature, où l’on célèbre prestement après l’enterrement le mariage de Claudius et Gertrude. Sur un rideau frangé, accessoire de théâtre par excellence, les visages sont projetés en gros plans. Cette projection et l’utilisation des micros exposent les confessions des protagonistes en une prise de parole publique, avec témoins. L’usage de la vidéo expose aussi l’incapacité d’Hamlet à agir, trop occupé à une observation assidue voire quasi obsessionnelle du monde. Dans toutes ses mises en scène, Thomas Ostermeier fait résonner fortement les textes dans l’actualité de notre monde. Ici il concentre sa lecture sur la révolte ratée de la jeunesse contre des aînés puissants. Pour lutter contre cette génération destructrice, Hamlet s’y prend mal, il joue la folie et devient fou à son tour, ce qui mène au triste sacrifice d’Ophélie. Lors d’une très belle scène, émouvante et tragique, elle meurt littéralement étouffée par cette société effrayante. Le metteur en scène dépeint Hamlet comme un bouffon ventru et désespéré, inadapté au monde. C’est d’abord la colère mal dirigée de ce fils rebelle, faisant lui aussi partie du monde décadent qu’il critique, que la mise en scène dissèque avec un talent percutant. Cette lecture radicale et énergique théâtralise avec vigueur les effets dévastateurs d’une société pourrie, et réduit la profondeur métaphysique du drame de Shakespeare. L’analyse hautement concentrée montre combien la question de la jeunesse touche Thomas Ostermeier. De façon troublante, huit ans après sa création, ce sujet d’une jeune génération désemparée qui rêve de révolte est manifestement d’une brûlante actualité ! L’un des atouts majeurs de la pièce est comme à l’accoutumée chez ce si talentueux metteur en scène la limpidité du jeu théâtral. Un immense bravo à l’exceptionnel acteur Lars Eidinger dans le rôle d’Hamlet, qui fut aussi un phénoménal Richard III dans la mise en scène présentée par Thomas Ostermeier au Festival d’Avignon en 2015.
Agnès Santi
à 20h45 sauf dimanche à 17h, relâche le 22 et le 26 janvier. Tél : 01 46 61 36 67. Spectacle en allemand surtitré. Durée : 2h30. Spectacle vu à Avignon en 2008 (Time flies…).
Dans une mise en scène minimaliste d’Arnaud [...]