La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Graal Théâtre – Merlin l’enchanteur

Graal Théâtre – Merlin l’enchanteur - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 juin 2012 - N° 199

Julie Brochen et Christian Schiaretti poursuivent la construction de leur cathédrale théâtrale. Après Joseph d’Arimathie, Merlin l’enchanteur ajoute une pierre ciselée à cet édifice ambitieux.

Dix pièces, trente heures de spectacle. Julie Brochen et Christian Schiaretti se sont lancés en juin 2011 dans une aventure hors normes : monter l’intégralité du Graal Théâtre, de Florence Delay et Jacques Roubaud. Après Joseph d’Arimathie, né au TNP, Merlin l’enchanteur continue l’invention scénique de ce monument : créé en mai à Strasbourg, le spectacle est présenté en juin au TNP. Ce projet est l’occasion de réunir deux troupes, deux équipes et deux metteurs en scène, qui espèrent que d’autres les rejoindront pour la suite. Tous s’inscrivent dans une démarche d’humilité et de compagnonnage, semblable à celle des maîtres gothiques de la pierre et du verre : le nom de chacun s’efface devant la gloire commune. Jacques Roubaud et Florence Delay, les deux « scribes » du Graal Théâtre (comme leur modestie teintée d’humour les incline malicieusement à se présenter) sont les premiers à adopter cette posture, considérant leur travail de réécriture des sources médiévales comme une œuvre de « conjointure ». Le Graal Théâtre est d’abord un défi romanesque, que ses auteurs relèvent haut la main, suggérant que le savoir n’est rien sans la saveur, s’amusant à des facéties anachroniques hilarantes (surface de Riemann, nuit du 4 août, clin d’œil à Copernic ou à Al-Khwarizmi), et entraînant dans une gigue joyeuse le démon incube et la pucelle, la demoiselle en son lac et le traître en sa tour abolie, la bête et la fée, le roi et les dragons. Mais cet ouvrage magistral, né d’une double plume trempée au vif-argent, est aussi un défi pour le théâtre : Julie Brochen et Christian Schiaretti l’affrontent avec talent.
 
Thème et variations
 
A l’origine est le thème : celui des aventures croisées de la chevalerie céleste et de la chevalerie terrestre, depuis la mort du Christ en croix jusqu’à la mort du roi Arthur. De ce thème, sont nées, au Moyen Âge, les variations littéraires dont Florence Delay et Jacques Roubaud se sont fait les compilateurs, créant eux-mêmes une nouvelle variation. Vient ensuite celle du théâtre. Il s’agit de dire une fois de plus cette histoire. De même que « ce que dit le conte est vrai parce que le conte le dit » (comme l’affirme Merlin dans une de ses fulgurantes théories anticipatrices !), ce que montre le théâtre propose une nouvelle fiction, autrement dit une nouvelle variation esthétique de la vérité. Il est vrai, parce qu’il est théâtre. Les comédiens qui ont joué les pères jouent les fils, les planches du plateau, qui s’étaient dressées en forêt inquiétante, s’enfoncent pour figurer le lac, et le champ de bataille devient chambre d’amour. La gageure de la variation, qui est celle de l’originalité dans la fidélité, est relevée avec une telle aisance qu’elle provoque l’irrésistible envie de découvrir les formes à venir de cette matière si riche. A condition qu’elles naissent en liberté, celle-ci étant la seule capable de renouveler l’art. Dans Merlin l’enchanteur, c’est celle de Merlin qui tient l’ensemble. Il y a le rire de Merlin, d’abord, symbole de cette résistance à l’esprit de sérieux dans laquelle se retrouvent tous les artistes réunis au creuset de cette œuvre. Il y a ensuite Jean-Claude Leguay, qui offre une bonhomie truculente à celui qui sait tout du passé et de l’avenir, qui possède le don d’ubiquité et l’art des transformations. Le son de Laurent Dureux, les masques d’Erhard Stiefel, la voix de Yann-Fañch Kemener, qui aurifie la matière bretonne, le talent, la fougue et l’engagement des deux troupes du TNS et du TNP font de ce spectacle les fondations d’une magnifique réussite. A voir Merlin l’enchanteur, on se plaît à rêver le théâtre en cycle des merveilles, voire en Jérusalem céleste : à la fois aboutissement de l’histoire et retour à la perfection initiale.
 
Catherine Robert


 

Du 1er au 17 juin. Mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20h ; dimanche à 16h. TNP, 8, place du Docteur Lazare Goujon,  69100 Villeurbanne. Tél. : 04 78 03 30 00. Durée : 3h. Spectacle vu au Théâtre National de Strasbourg. L’intégralité du Graal Théâtre est publiée par les éditions Gallimard, 2005.

A propos de l'événement

Région

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre