La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Gérard Astor et Nicolas Hocquenghem

Gérard Astor et Nicolas Hocquenghem - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Photo : CTC – 2008 Légende photo : Gérard Astor et Nicolas Hocquenghem à Damas.

Publié le 10 novembre 2009

Ambivalence du partage

Nicolas Hocquenghem s’empare comme d’une partition musicale de la trilogie constituée des trois dernières pièces de Gérard Astor. Rencontre des langues et des voix, des mythes et de l’Histoire.

Que racontent ces trois pièces ?
Gérard Astor : Des Siècles à Grenade est un aller-retour entre un fait divers récent, les ratonnades des sans-papiers marocains dans le Sud de l’Espagne, et un événement historique, la prise de Grenade en 1492 par les rois catholiques qui expulsent Juifs et Maures d’Espagne. L’Occident cherche toujours à reprendre ses terres et à en chasser les peuples différents. Leïla-Enki met en rapport la récente construction du mur en Palestine et les vieux mythes sumériens, notamment celui du déluge et celui de l’invention de l’écriture. Aube se déroule en 2042 sur une planète qui souffre de la sécheresse et cherche où pomper l’eau. Entre mythes, Histoire et fiction, la grande question est celle du destin de l’humanité. J’en appelle au déluge et à Isabelle la catholique parce que toujours des hommes ont voulu s’emparer et assoiffer leurs semblables : on sépare les terres pour séparer les eaux. L’expression « partage des eaux » est ambivalente : c’est à la fois l’eau qui se partage sur chaque versant de la montagne mais ça peut être aussi l’eau partagée. C’est devant le choix du sens de cette expression que se trouve l’humanité, sachant que l’eau est ici le symbole de tous les biens terrestres.
 
Comment s’opère entre vous le partage du texte et de la scène ?
Nicolas Hocquenghem : L’entente, la symbiose et le respect mutuel me donnent des ailes : c’est une chance de travailler sur une telle écriture. Je conçois la mise en scène comme une sorte d’écriture de l’écriture. Les grands textes de théâtre portent en eux-mêmes leur dramaturgie et c’est le cas ici : en travaillant presque seulement sur la forme, je vois surgir le sens sur le plateau. En définitive, pour moi, le théâtre, c’est quand la langue fait se mouvoir les corps, quand la langue crée le mouvement.
 
« Les grands textes de théâtre portent en eux-mêmes leur dramaturgie et c’est le cas ici. » (N. H.)
 
Vous utilisez pour ce faire une méthode très particulière. Pouvez-vous la décrire ?
Nicolas Hocquenghem : C’est une approche musicale de la langue qui m’est venue en voyant répéter William Christie qui dirige ses interprètes de manière très théâtrale ! J’ai pris le contrepied de cette méthode en faisant du théâtre à partir d’indications musicales. Dès les premiers spectacles de la Compagnie Théâtrale de la Cité, j’ai adopté des indications de scansion et de respiration. Affinée avec le temps, cette méthode a trouvé ses signes sur le papier et cette transformation du texte en partition s’est appliqué à tout le répertoire de la compagnie. Passant de l’alexandrin classique à l’écriture contemporaine, travaillant avec Olivier Apert puis avec Gérard Astor, j’ai cherché de nouveaux systèmes de scansion. Le travail ne peut se faire qu’avec des poètes et c’est le cas de Gérard Astor : il n’écrit pas un flux de phrases mais des vers, même si ça ne rime pas ! Mon geste de mise en scène suppose l’argument poétique de l’écriture.
 
Le partage est-il une réalité passée ou une utopie, un mythe ou un espoir ?
G. A. : Quand on se pose cette question du partage et de son ambivalence, on s’aperçoit que les mythes racontent davantage la séparation que la communauté. C’est pourquoi je me réfère à l’Andalousie et à cette époque où des peuples différents ont pu vivre ensemble. Cet exemple historique est très rare et il est bon de rappeler qu’il y a eu une époque où on a pu vivre ensemble, même si elle a été assez courte. L’autre question c’est de savoir si ce qui a été possible peut nous aider à penser une autre communauté ailleurs. Oui, je le crois. Le théâtre et la création artistique ne mettent pas en berne notre utopie profonde qui est d’être heureux ensemble. Nous pouvons continuer de penser la création possible d’une démocratie nouvelle et jamais vue. Pour cela, le théâtre est un lieu d’innovation, non pas un guide mais un embrayeur. Aujourd’hui que les forces sociales vont vers le fascisme, le népotisme, l’autoritarisme, la création demeure porteuse d’utopie. Toute velléité de théâtre dans le domaine de l’écriture appelle à aller plus loin dans la démocratie.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


Le Partage des eaux, de Gérard Astor ; mise en scène de Nicolas Hocquenghem. Du 2 au 7 décembre 2009. Aube, le 2 décembre à 20h30. Trilogie (Des Siècles à Grenade / Leïla-Enki / Aube), les 4, 5 et 7 décembre à 19h30 et le 6 à 15h. Navette aller-retour depuis Paris les 4 et 5 décembre. Théâtre Jean-Vilar, 1 Place Jean-Vilar, 94400 Vitry-sur-Seine. Renseignements et réservations au 01 55 53 10 60 et sur www.theatrejeanvilar.com

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