Antigone
Le metteur en scène napolitain Luca De Fusco [...]
Une mise en scène concise et percutante signée Bernard Bloch, Thomas Carpentier, Corinne Fischer et Vincent Jaspard, mettant en œuvre une remarquable synergie entre écriture et théâtre.
L’Amérique, Terre de libertés et Terre promise que de nombreuses familles juives ont voulu rejoindre à la fin des années trente. Comme la famille Bronsky en novembre 1938, qui envoie sa demande de visa au Consul Général des États-Unis d’Amérique : réponse négative, quotas « subtilement calculés » obligent. Le délai d’attente sera finalement de treize ans. Soit six millions de juifs massacrés plus tard. C’est donc en 1952 que Jacob (le fils) et sa famille aperçoivent enfin la Statue de la Liberté, et Fuck America raconte la difficile adaptation au Nouveau Monde ; Jacob connaît la précarité, et décide d’écrire un roman « basé sur des faits réels ». Dans un style percutant, cru et amer, il évoque le monde du travail, les bars, la cafétéria des émigrants à l’angle de Broadway-86e rue, l’écriture, les femmes, la libido, le sexe : Jacob Bronsky écrit pour laisser affleurer le vivant alors que la mort a tout emporté, jusqu’à ensevelir un monde dévasté sous l’oubli. L’histoire du narrateur est aussi celle de l’auteur juif allemand Edgar Hilsenrath (lire aussi Le Nazi et le Barbier). Jacob fait part de son projet d’écriture : « Prose économe, concision extrême, mots justes, phrases comme des squelettes, nettoyées, sans chichis, phrases qui tapent dans le mille ».
Magistrale tenue du jeu théâtral
La grande réussite de la mise en scène proposée par Bernard Bloch, Thomas Carpentier (musicien installé à jardin), Corinne Fischer et Vincent Jaspard consiste à transposer à la scène avec talent cette ambition littéraire. Percutant, concis, ironique, travaillant le décalage dans le détail foudroyant plutôt que dans la profusion : le théâtre est ici un écho formidable à cette écriture décapante et burlesque, qui balaie les bons sentiments et les clichés. Trois comédiens, trois tabourets, un musicien et des lumières : la magistrale et implacable tenue du jeu théâtral, extrêmement net et précis, suffit pour donner vie et corps au monde de Jacob Bronsky. C’est sans bavures, parfois très drôle au cœur des difficultés de Jacob. Ce parti pris radical n’oblige pas les comédiens à extérioriser et à caractériser outre mesure : au contraire, un haussement de sourcil, un sourire carnassier, un regard de biais ou un geste peuvent être révélateurs. Bernard Bloch est époustouflant. Et adapter ainsi Hilsenrath au théâtre rend justice à sa volonté de laisser malgré tout la vie se dresser tant bien que mal, à son humour féroce et à son talent littéraire.
Agnès Santi
Le metteur en scène napolitain Luca De Fusco [...]