La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Retours et Le Père de l’enfant de la mère de Fredrik Brattberg, mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia

Retours et Le Père de l’enfant de la mère de Fredrik Brattberg, mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Rond-Point
© Pascal Victor Camille Chamoux, Jean-Charles Clichet et Dimitri Doré

Textes Fredrik Brattberg / mes Frédéric Bélier-Garcia

Publié le 28 mai 2019 - N° 277

Frédéric Bélier-Garcia présente au Rond-Point deux courtes pièces du Norvégien Fredrik Brattberg. Dans Retours, un enfant meurt et revient plusieurs fois sous les yeux de ses parents qui finissent par ne plus le voir. Dans Le Père de l’enfant de la mère, deux parents se disputent l’amour de leur enfant. Deux pièces qui pulvérisent la famille avec une drôlerie grinçante, dans une mise en scène finement dirigée.

Certains écrivains se reconnaissent à un trait particulier, une caractéristique qui revient de façon récurrente dans leurs livres. Chez Semprun, c’est la digression, chez Modiano, la quête du passé. Chez Fredrik Brattberg, auteur norvégien né en 1978 et prix Ibsen 2012, c’est la répétition, comme cela apparaît clairement dans les deux courtes pièces que Frédéric Bélier-Garcia a décidé de réunir dans son spectacle. Répétition de scènes à partir d’un noyau dur : la mort d’un adolescent puis sa résurrection dans Retours, le retour de la mère à la maison pendant que le père joue à la dînette avec leur fille dans Le Père de l’enfant de la mère. À partir de ces deux situations, des variations s’enchaînent – peut-être dues à la formation musicale de Fredrik Brattberg qui est également compositeur et musicien classique. Mais ces variations, à force de reproduire la scène matricielle, finissent par la dégrader, faisant penser aux anciennes cassettes audio dont les bandes, écoutées jusqu’à l’usure, finissaient par se froisser et devenir inutilisables. Dans Retours, le retour inexpliqué du fils mort est d’abord célébré avec joie. Lorsque l’adolescent réclame à manger, il faut voir avec quel empressement les parents lui apportent des victuailles : gigot fumé, gigantesque gâteau aux noix, rien n’est trop gros ! Mais dès la 2e résurrection, l’empressement est moindre et se traduit par ce qui lui est servi : les restes de saucisse de la veille. Quant à la 3e fois, elle se résume à du pain et du Nutella…

La famille, lieu privilégié des névroses

En s’attaquant à la peur la plus puissante de tous les parents, la mort de leur(s) enfant(s), Frederik Brattberg pulvérise la sacro-sainte image de la famille, donnant à voir un couple dont la vie quotidienne est de plus en plus dérangée par les réapparitions du fils. Du décalage entre les réactions attendues et les réactions produites naît la dérision, qui vire presque au grand-guignolesque à la fin, quand les parents veulent achever leur fils une bonne fois pour toutes ! La deuxième pièce est moins spectaculaire – peut-être aurait-il été plus judicieux de la placer au début du spectacle – mais paradoxalement, elle dérange plus, à force de voir les parents se disputer l’amour de leur petite Frida dans un duel sans merci. Un amour infantile et possessif, qui, ressassé, exacerbé, finit par provoquer le divorce des parents : c’est seulement dans la mise en place de la garde alternée que chacun peut vivre son amour parental de façon exclusive. Frédéric Bélier-Garcia dirige finement ses acteurs Camille Chamoux, Jean-Charles Clichet et Dimitri Doré, réussissant à maintenir l’équilibre délicat entre drôlerie et noirceur, entre réalisme et fantaisie.  Le monde a changé, les morales aussi, mais Fredrik Brattberg nous montre que malgré son émancipation des codes d’antan, ses principes d’éducation bienveillante et son apparente décontraction, la famille reste le lieu privilégié des névroses. Le cri de Gide résonne toujours autant : « Famille je vous hais ! »

Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Frédéric Bélier-Garcia met en scène Retours et Le Père de l’enfant de la mère de Fredrik Brattberg, à voir au Théâtre du Rond-Point
du mardi 4 juin 2019 au dimanche 30 juin 2019
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin-Roosevelt, 75008 Paris

à 21h. Dimanche à 15h30. Relâche les lundis, les 9, 11 et 12 juin 2019. Tél. : 01 44 95 98 21. Spectacle vu à sa création au Quai d’Angers en mai 2019.

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