La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -240-THOMAS GUÉRINEAU ~ COMPAGNIE TG

Une écriture composée de corps, de sons et d’objets

Une écriture composée de corps, de sons et d’objets - Critique sortie Jazz / Musiques

Entretien Thomas Guérineau

Publié le 28 janvier 2016 - N° 240

Patiemment mûri, le parcours artistique de Thomas Guérineau met en oeuvre des pratiques inédites où fusionnent mouvements et sons.

Quel a été votre parcours ?

Thomas Guérineau : A 16 ans, j’ai commencé seul le jonglage, puis j’ai intégré l’école Fratellini, où j’ai beaucoup appris en regardant les autres. Très tôt, j’ai été intéressé par les états de corps, ou pour être plus explicite par les jeux de corps. J’ai mis en œuvre un jonglage corporel très dansé, et j’ai participé à des créations avec des compagnies de danse – Marie Lenfant, François Verret… Puis j’ai débuté la musique en autodidacte, grâce à un ami clarinettiste, et j’ai commencé à jongler avec des sacs plastique, sur des percussions, et notamment sur la timbale, grosse percussion à peau munie d’une pédale d’une incroyable richesse sonore. Dès lors, je me suis engagé sur la voie du jonglage musical, qui n’est pas du jonglage sur de la musique. Avec Vincent de Lavenère, je suis l’un des seuls à explorer cette démarche qui imbrique intimement productions gestuelle et sonore. A partir de divers objets – balles, mailloches, morceaux de tissus, engrenages… -, j’ai beaucoup expérimenté. Je me suis aussi rapproché du théâtre musical, un courant de la musique contemporaine qui naît dans les années soixante avec Stockhausen, Kagel ou un peu plus tard Aperghis. Au cœur d’un dispositif visuel et sonore, la partition y est aussi écrite pour le corps des musiciens. Au début des années 2000, Jean Vinet de La Brèche à Cherbourg a repéré mon travail et m’a ouvert des portes. J’ai participé à divers laboratoires de recherche, et croisé la route d’artistes de diverses disciplines, comme Jean-Pierre Drouet, un très grand percussionniste.

Comment caractérisez-vous votre écriture ?

T. G. : Je me suis acheté une timbale en 2004, et j’ai travaillé énormément, seul, pour en découdre avec les obsessions et les intuitions qui me taraudaient. Je crée une écriture qui est composée de corps, de sons, et d’objets. Je travaille d’une manière abstraite, non narrative, voire hyperréaliste, un terme que j’emprunte à l’art plastique. Quand je suis sur scène avec ma timbale, je ne fais pas de référence à un système symbolique ou à un imaginaire ; il s’agit d’un corps, de balles, avec une physique dans l’espace, une production sonore. Est-ce le son qui produit le mouvement ? Ou est-ce le geste qui se résout en un son ? J’aime cette ambiguïté et je recherche une sensation de fusion entre corps, sons et objets. J’ai été obligé de concentrer et en quelque sorte d’assécher mon écriture pour avoir l’impression de la posséder et qu’elle me possède. Dans ses Notes sur le cinématographe, Robert Bresson recommande d’oublier ce qu’on fait. C’est ce à quoi je m’emploie : oublier que je fais du jonglage, ou de la danse, du théâtre, de la musique… J’ai enlevé toutes les scories. Et finalement cette façon particulière de travailler a été reconnue.

« L’art se rapproche d’un procédé transcendantal. »

Comment avez-vous procédé pour créer Maputo Mozambique ?

T. G. : Après avoir quitté en 2010 la direction de la Maison des Jonglages, j’ai rencontré grâce à Vanessa Silvy de l’Institut Français Patrick Schmitt, directeur du centre culturel franco-mozambicain, qui voulait mettre en place des ateliers de jonglage à Maputo. Cela a bien fonctionné, même si le jonglage n’est pas du tout une pratique présente en Afrique. J’ai demandé aux artistes mozambicains d’oublier ce qu’ils avaient appris, pour travailler sur l’expérience, sur l’être ensemble, pour qu’ils se saisissent de l’intérieur de notre projet, à partir de leur liberté, sans chercher à conquérir un public. Je les ai accompagnés, dans l’apprentissage du jonglage, de la danse, d’un langage musical, du chant, en utilisant des métronomes, des percussions, et des rhombes, un instrument ancestral. Marc Brébant, nouveau directeur du centre culturel, souhaite poursuivre le travail entrepris et même initier une nouvelle création jonglée avec les artistes mozambicains.

Quels sont vos projets ?

T. G. : Ma rencontre avec Jean Geoffroy, directeur des Percussions de Strasbourg, a été très féconde, et une création est en prévision avec le compositeur Thierry de Mey. Par ailleurs, je crée en 2016 Lumière, impact et continuité en duo avec un créateur lumière avec lequel je travaille régulièrement, Christophe Schaeffer. Toujours dans une quête de fusion entre rythmes et gestes, et ici entre ondes sonores et lumineuses. C’est le corps et non l’esprit qui est en jeu. L’art est pour moi une crevée métaphysique dans un quotidien brouillon, il se rapproche d’un procédé transcendantal agissant pour que l’être apparaisse.

 

Propos recueillis par Agnès Santi

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