La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -235-Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine / Saison 2015~2016

Un théâtre engagé dans son époque

Un théâtre engagé dans son époque - Critique sortie Théâtre Bordeaux Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine
Catherine Marnas / crédit : Adréani

Lorenzaccio / de Alfred de Musset / mes Catherine Marnas / Entretien Catherine Marnas

Publié le 31 août 2015 - N° 235

Catherine Marnas dirige le TnBA et son école depuis une saison. Dans un théâtre installé entre création et accueil, elle œuvre à dévoiler et partager « les merveilleuses possibilités de l’humain ».

« La vie est tellement fugace que ça vaut le coup de se battre pour l’essentiel. »

Depuis quand dirigez-vous le TnBA ?

Catherine Marnas : J’ai pris mes fonctions à la tête du théâtre le 1er janvier 2014, mais j’avais été nommée en amont, dès le mois d’avril précédent, afin de pouvoir choisir la nouvelle promotion de l’Estba. Il n’y a qu’une seule promotion à la fois, renouvelée tous les trois ans : les élèves travaillent à temps plein dans le théâtre, ils sont vraiment dans la vie du théâtre, jusqu’à en être les ouvreurs le soir. Cette école est un peu comme une pépinière de troupes, installée dans un bateau totalement disponible : toute la structure (les trois salles, les compagnies qui créent et répètent chez nous) s’organise pour constituer une vraie fabrique de création. Je trouve ça formidable !

Y a-t-il une spécificité de cette maison bordelaise ?

C. M. : Dans la mesure où il y a peu de grands plateaux dans la région, outre notre mission première de création, nous avons aussi une mission de diffusion. Il y a vingt-neuf spectacles la saison prochaine. C’est un plaisir d’accueillir beaucoup d’artistes mais cela devient un challenge de plus en plus difficile dans les conditions économiques actuelles.

Quelle énergie particulière, quelle couleur voulez-vous donner à l’école ?

C. M. : L’école est à l’intérieur du théâtre : les élèves et les artistes se croisent donc tout le temps. Je suis la directrice de l’école et la directrice artistique du théâtre. J’enseigne depuis longtemps : cette activité n’est donc pas nouvelle pour moi. Les écoles choisissent souvent entre deux systèmes : un seul professeur toute l’année ou des stages qui permettent de se frotter à des esthétiques différentes. Nous avons choisi de mêler les deux. En plus du responsable pédagogique, Gérard Laurent, moi-même et deux comédiens de ma tribu (Franck Manzoni et Bénédicte Simon) suivons les élèves toute l’année, et nous organisons des stages réguliers. Ils sont partis à Buenos Aires en février, pour travailler avec la nouvelle école argentine et les metteurs en scène Sergio Boris et Claudio Tolcachir. C’est une aventure de fous, qui s’est concrétisée avec un spectacle à Avignon, avant même qu’ils n’aient terminé l’école. Ils ont aussi travaillé avec Arpád Schilling : autre grande chance pour ces quatorze élèves ! Ce qui m’importe, c’est qu’ils découvrent la fonction de la troupe. Etre acteur peut conduire vers une telle solitude… Ici, ils biberonnent du collectif !

Investissez-vous le collectif à tous les niveaux ?

C. M. : Mes collaborateurs à la tête du théâtre constituent une vraie belle équipe. Artistiquement, le collectif est très important dans ma démarche ; je travaille régulièrement avec les mêmes acteurs, les mêmes créateurs son, lumière, etc. Cela marque forcément les spectacles ; il nous arrive souvent, par exemple, de commencer un travail sans connaître l’attribution des rôles. C’est une démarche qui permet d’interroger les formes et la relation au public. C’est pour cela aussi que j’insiste, dans la formation, sur la perméabilité des arts. Les élèves font beaucoup de danse, de cirque : la scène d’aujourd’hui n’est plus découpée de manière étanche, les comédiens doivent s’adapter à la flexibilité de la création. Les comédiens que nous formons sont ouverts. Ils ont travaillé en anglais avec Schilling, en espagnol avec Boris. Le fait d’aller ailleurs aiguise leur vitalité. Dans une époque où le futur parait angoissant, j’espère leur donner une vraie force de vie, afin qu’ils soient les auteurs de leur futur avec appétit et confiance. Cela est lié à la définition résolument humaniste de mon propre travail : j’ai confiance en l’humanité, même si je ne suis pas aveugle à ses noirceurs. Le titre de l’éditorial de l’an dernier le disait bien : il est trop tard pour être pessimiste. Il s’agit là d’une vraie profession de foi humaniste. Comme Joë Bousquet, je crois inutile de rappeler à l’homme sa faiblesse : on est là davantage pour faire sentir ses merveilleuses possibilités. La vie est tellement fugace que ça vaut le coup de se battre pour l’essentiel, beaucoup plus à portée qu’on ne croit.

 

Pourquoi avez-vous choisi de monter Lorenzaccio cette saison ?

C. M. : Nous sommes aujourd’hui dans une époque de grand doute sur la démocratie. Cette démocratie problématique se retrouve dans Lorenzaccio. Ce qui m’intéresse chez Lorenzo, c’est que c’est un impatient plutôt qu’un nihiliste complet. Il en a assez de l’immobilité. On retrouve cette situation aujourd’hui où on ne cesse de dire que la crise, comme les maladies, est chronique… Comme si tout le monde attendait quelque chose, en ayant intégré que la fin de l’humanité est possible. En même temps, l’homme est plein de ressources et on constate des réussites improbables là où l’échec était annoncé. Nous avons tous l’oreille tendue vers quelque chose, et c’est ça qui m’intéresse dans le parallèle avec Lorenzo. Il y a des chances pour que ses projets ratent, mais il veut quand même en faire le pari.

Qui est Lorenzo ?

C. M. : On peut voir chez Lorenzo le cynisme, le mépris de l’humanité, la désinvolture. Mais ce sont autant de signes de malheur et d’impuissance, comme si son angélisme, une croyance trop idéaliste en l’homme, se retournait en haine. Il est en interrogation constante avec Philippe Strozzi, humaniste qui pense sagement mais qui n’agit pas. Un duel bien contemporain, aujourd’hui où nous nous ressentons souvent comme des indignés impuissants. Cette actualisation de Lorenzo est déjà présente chez Musset. Il s’intéresse peu à la Renaissance mais veut surtout parler de l’époque louis-philipparde. Les points communs sont nombreux : la vulgarité du politique, la toute-puissance de l’argent, des gens qui se sont battus pour des idées auxquelles ils ne croient plus. On parlera donc surtout d’aujourd’hui et tout le monde entendra ces échos ! Le théâtre est un des rares arts à mettre les époques sur l’ouvrage.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Lorenzaccio
du mercredi 7 octobre 2015 au jeudi 22 octobre 2015
Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine
Place Pierre Renaudel, 33800 Bordeaux, France

TnBA – Théâtre du Port de la Lune, & Estba – Ecole supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine, place Renaudel, 33000 Bordeaux. Tél. : 05 56 33 36 80.

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