Chemin faisant avec David Liebman
Entre un pianiste habité par le nomadisme [...]
Retour sur un parcours artistique en perpétuel mouvement, nourri d’inspirations multiples.
Votre actualité récente vous a vu passer du trio jazz à un programme piano et percussions davantage tourné vers l’exploration sonore. Vous aimez passer d’un monde à l’autre ?
Jean-Marie Machado : J’essaie d’inventer des univers musicaux. Pour cela, il faut fuir les conventions, trouver son chemin en dehors des esthétiques préétablies. Et aujourd’hui, je le fais avec une grande paix intérieure. Je suis persuadé que ce que je fais a à voir avec le jazz, seulement, je n’en retiens pas nécessairement toutes les postures systématiques. Le solo, par exemple, ne doit pas être une figure fermée sur elle-même : j’ai besoin d’y amener de l’écriture.
D’un projet à l’autre, on retrouve cependant des traits persistants, comme le travail du timbre.
J.-M.M. : Oui, le timbre et aussi le rapport émotif au son – c’est quelque chose qui me travaille beaucoup. En cela, le grand maître, pour moi, est Bill Evans. On parle souvent de lui pour ses harmonies – et bien sûr ses harmonies sont extraordinaires – mais il est avant tout un pianiste de timbre : il réussit à rendre le piano émouvant par son chant et l’harmonie lui sert à sublimer le chant et le timbre. Je suis aussi et de plus en plus très sensible à la forme, qui est chez moi une nécessité et qui va de pair avec une sorte de narration musicale. Je suis passionné par Stravinsky, sa façon de créer à chaque fois un monde éphémère.
Autre clin d’œil récurrent dans tous vos projets : le fado.
J.-M.M. : La première fois, avec les frères Moutin, c’était comme une auto-provocation : insérer une chanson dans une musique très écrite, très « musique contemporaine ». Et puis j’ai senti quelque chose, cette possibilité de connecter tout le monde avec une simple mélodie. Depuis, c’est un peu le blues que je peux jouer : la saudade est mon vrai standard.
Composer pour des formations très différentes, du solo au grand ensemble, est-ce une façon de pousser la recherche toujours plus loin ?
J.-M.M. : Je pars du principe illusoire mais nécessaire que les gens suivent mon travail. Je ne me vois pas leur répéter chaque année les mêmes formules. J’ai besoin de me réinventer, quitte à revenir sur des formes que j’aime beaucoup comme le trio. Depuis quelque temps, le duo me passionne. C’est une forme d’une grande liberté, qui repose sur l’adaptation permanente : on peut jouer sur la forme, le texte, le tempo. C’est un peu comme un solo, finalement.
Comment pilotez-vous tous ces projets ? Est-ce programmé, planifié ?
J.-M.M. : Au départ, il y a toujours une étincelle. Chaque création mûrit d’abord dans la tête, jusqu’à ce qu’elle soit prête à être écrite. Il me faut une idée pour pouvoir me propulser. Pour « Lagrima Latina », c’était un souvenir d’enfance : le fait de passer d’une langue à l’autre. Pour « Impulse », j’ai d’abord hésité entre l’instrumental et le vocal, puis j’ai eu envie de travailler sur les percussions comme j’avais pu le faire auparavant avec les cordes ou avec les cuivres. Dans le cadre de la résidence au Centre des Bords de Marne au Perreux, j’ai pu ramener le piano au centre, mais aussi montrer qu’il évolue, qu’il change de costume. L’un de mes prochains projets sera un travail avec orchestre symphonique autour de « l’esprit de l’eau ».
Propos recueillis par Jean-Luc Caradec et Jean-Guillaume Lebrun
Prochains concerts :
« Media Luz » (avec Jean-Marie Machado, Jean-Charles Richard et le quatuor Psophos). Théâtre de Lisieux Pays d’Auge. Jeudi 28 janvier à 20h30. Tél. : 02 31 61 04 40.
Duo Machado/Ithursarry. U-Percut, Marseille. Jeudi 25 février à 21h. Tél. : 06 60 96 78 88.
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