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Focus -273-Le Malandain Ballet Biarritz

Thierry Malandain, genèse d’une création

Thierry Malandain, genèse d’une création - Critique sortie Danse Versailles
© Olivier Houeix Thierry Malandain

Publié le 25 janvier 2019 - N° 273

 Après le très beau et universel Noé, place à la cour de Versailles !  Somptueux costumes, superbe écrin scénographique et symphonies de Haydn interprétées par l’Orchestre Euskadi concourent à la beauté du geste. Thierry Malandain explicite le cheminement qui a guidé son processus créatif pour donner corps à son écriture foisonnante, riche d’histoire et d’humanité.

Comment avez-vous abordé cette commande ?

Thierry Malandain : Après Cendrillon (2013) et la Belle et la Bête (2015), ce ballet est la troisième commande de Laurent Brunner, directeur de Château Versailles Spectacles. Au départ, j’étais plutôt réticent à l’idée de créer un ballet autour de Marie-Antoinette, tant le sujet me paraissait périlleux. J’ai proposé d’autres pistes, mais il tenait à cette figure si emblématique. C’est donc un défi que j’ai relevé, un défi qui nous a obligés à surmonter diverses difficultés. La phase préparatoire a commencé par la lecture de la biographie de Stefan Zweig, qui fourmille de détails. J’ai ensuite acheté une multitude d’ouvrages et il est arrivé un moment où chaque page m’angoissait, où je me demandais comment j’allais traiter ce foisonnement d’informations, qui nécessitait une compagnie de soixante danseurs pour un ballet en trois actes ! Mais comme le souligne André Gide et bien d’autres, « l’art naît de contrainte », et la première contrainte est toujours initialement celle des conditions de la création.

Dont un espace de création particulier…

T. M.: Il est en effet étonnant de se dire que le ballet va être créé dans le lieu même qui fut inauguré en 1770 pour les noces du Dauphin Louis-Auguste, futur Louis XVI, et de l’archiduchesse Marie-Antoinette. Des théâtres éphémères étaient alors régulièrement construits pour les grandes fêtes, et puisque trois mariages allaient se succéder, Louis XV avait décidé de bâtir un théâtre en dur, dont le parterre fut achevé la veille de la cérémonie. Le matin Louis-Auguste et Marie-Antoinette se sont mariés dans la Chapelle, et le soir ils ont dîné dans le théâtre, la famille royale étant au centre et la Cour installée dans les loges. Les festivités ont duré quinze jours, avec, notamment le deuxième jour, une série de spectacles représentatifs du répertoire français. Une particularité de l’Opéra Royal de Versailles – et c’est toujours effectif -, c’est que la salle fut conçue sur vérins : un plancher qui englobe tout l’espace peut être aménagé, transformant le théâtre en salle de bal. Dix-neuf ans plus tard, le 1er octobre 1789, un autre banquet, le dernier, fut offert sur la scène même du théâtre par les Gardes du corps aux officiers du Régiment de Flandres autour de la famille royale. On accusa alors Marie-Antoinette d’avoir foulé aux pieds la cocarde tricolore, ce qui déchaîna l’opinion contre elle. A partir de cet espace emblématique, j’ai structuré et délimité l’intrigue du ballet. J’ai commencé l’histoire dans le théâtre par le repas nuptial, et l’achève alors que la foule vient chercher Marie-Antoinette pour aller aux Tuileries. D’une soirée à l’autre, l’action demeure donc à Versailles.

© Olivier Houeix

 Par quelle difficulté avez-vous commencé ?

T. M.: La première difficulté fut le choix musical. Au préalable, j’avais envisagé le choix du compositeur Alfred Schnittke, qui a composé des concertos grossos qui font référence à la musique du XVIIIème siècle. Il me semblait que l’atmosphère sombre et dramatique de sa musique offrait un contraste intéressant en regard de la frivolité de certains aspects du sujet. Les droits excessifs et la taille insuffisante de la fosse ont rendu cette option impossible. J’ai pensé aussi à Gluck, qui fut le professeur de musique de Marie-Antoinette, et qu’elle fit venir à Paris, mais ses partitions strictement symphoniques ne sont pas nombreuses et j’avais déjà par ailleurs utilisé Don Juan. J’ai finalement choisi Joseph Haydn, autrichien comme Marie-Antoinette, qui le connaissait, et lui dédia même l’une de ses symphonies. Les Symphonies no. 6 Le Matin, 7 Le Midi, 73 La Chasse et 8 Le Soir, interprétées par l’orchestre Euskadi dirigé par Mélanie Levi-Thiébaut, structurent le découpage de l’action en une suite de tableaux évoquant des moments clés de la vie de Marie-Antoinette, interprétée par Claire Lonchampt. Ces moments sont ponctués de signes qui dès son arrivée à Paris paraissent annoncer sa fin funeste.

Quels sont ces signes ?

T. M.: Leur multiplicité impressionne ! Le 16 mai 1770, lorsqu’elle signe l’acte de mariage, elle y laisse une tache d’encre : « mauvais signe » murmura-t-on alors. Le soir même, un orage impose l’annulation d’un feu d’artifice attendu par la foule. À Strasbourg, « la remise de l’épouse » s’est déroulée dans un pavillon décoré d’une tapisserie empruntée à l’Archevêché illustrant l’histoire de Jason et Médée : « Ah ! dit la jeune Dauphine, voyez quel pronostic ! », relate-t-on. Lors de la première visite du couple à Paris, un incendie se déclare lors d’un feu d’artifice et cause la mort de quelque 130 personnes. Quant aux spectacles qui lui sont présentés, l’un, Persée de Jean-Baptiste Lully recèle une scène prémonitoire lors de laquelle Persée tranche la tête de Méduse dans l’antre des Gorgones ; l’autre, La tour enchantée d’Antoine Dauvergne fut complètement gâché par une machinerie qui dysfonctionna. Quelques jours avant l’échafaud, elle a eu ces mots poignants : « Pour moi seule, toutes les heures sonnent en retard. Les entreprises n’ont que la chance du revers, et l’étoile du malheur semble s’être levée sur ce qui m’entoure, pour mal guider ceux qui me servent. »

« “L’étoile du malheur semble s’être levée sur ce qui m’entoure“, confie Marie-Antoinette. »

Quel regard portez-vous sur Marie-Antoinette ?       

T. M.: Lorsque je crée un ballet, j’ai besoin de m’identifier au sujet et aux personnages. Au départ, je n’arrivais pas à avoir de sympathie pour elle, je la trouvais trop inconséquente, incompétente, frivole – certains tableaux du spectacle évoquent sa coquetterie dont l’un intitulé La Reine du Rococo ou mon truc en soie qui pastiche Mon truc en plume -, puis j’ai été touché par ses fragilités et bien sûr par son destin tragique. Elle n’avait que 14 ans au moment du mariage, qui n’a pas été consommé pendant sept ans, et elle a résisté à la tentation. Son grand amour fut le comte suédois Axel von Fersen. Elle supportait mal l’étiquette rigide de la Cour de France, qui alimenta pamphlets, rumeurs et caricatures, et qu’elle a fui dans son Hameau ou dans le théâtre de Trianon. Masquée, elle partait aussi en cachette à Paris au bal ou à l’opéra avec une armada de favorites. Sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse, s’inquiétait de ces fantaisies. Quant à Louis XVI, c’est un personnage très touchant, loin du personnage ridicule que l’on présente habituellement. Intelligent, libéral et progressiste, il n’était pas contre l’idée d’une monarchie parlementaire.

« Lorsque je crée un ballet, j’ai besoin de m’identifier au sujet et aux personnages. »

La danse baroque a-t-elle influencé votre écriture ?

T. M.: J’ai effectué quelques emprunts à la danse baroque, qui inspire le spectacle, sans être dans la copie. Au temps de la monarchie, les gens bien nés devaient savoir danser, monter à cheval et se battre. La danse était une discipline pratiquée au quotidien. Marie-Antoinette avait comme professeur Jean-Georges Noverre, qu’elle nomma Maître de Ballet, dont lesLettres sur la danse préfigurent les ballets du XIXe siècle. Elle jouait de la harpe, jouait la comédie, dansait. Alors que la vie à la cour est réglée comme une horloge, la danse est l’une des pratiques qui permettent de bien s’y comporter. Une telle rigidité dans les codes ne supporte aucun relâchement, comme la danse classique ! L’écriture s’inscrit dans les pas de cette époque mais à travers un regard actuel. Comme un miroir possible d’une époque et d’une vie. C’est une démarche complexe mais passionnante.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Le Malandain Ballet Biarritz danse Marie/Antoinette à Versailles
du vendredi 29 mars 2019 au dimanche 31 mars 2019


Le 29 mars à 20h, le 30 à 19h, le 31 à 15h et 19h. Tél : 01 30 83 78 98. Durée : 1h20.

En tournée

 Les 14, 15, 19, 21 et 24 février 2019 en Espagne, les 23 et 24 mars à Anvers en Belgique, les 6 et 7 avril à l’Opéra de Vichy, les 19 et 20 avril à l’Opéra National de Bordeaux, le 21 mai à Wolfsburg en Allemagne, du 25 au 27 mai à l’Opéra de Reims, du 1er au 4 juin et du 7 au 9 août à Biarritz.

 malandainballet.com

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