Françoise Letellier, Directrice de la Scène Nationale des Gémeaux
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Focus -213-Les Gémeaux ~ Scène Nationale
Thomas Ostermeier, directeur de la prestigieuse Schaubühne de Berlin et fidèle invité des Gémeaux, tacle la cupidité effrénée de notre époque autant que la soumission des femmes, coincées dans les conventions bourgeoises.
Un art pour ici et maintenant : le théâtre selon Thomas Ostermeier ne verse pas dans l’esthétisme frigide mais en découd avec le présent, fouille les fissures qui rongent les chairs en silence sous le vernis souriant des apparences. « Je conçois en effet la mise en scène comme une exploration du réel qui révèle ce qui se joue au-delà de l’image superficielle. En ce sens, le réalisme consiste à dévoiler l’intériorité masquée derrière la façade. Si mon approche scénique utilise des effets de réel et s’appuie sur un langage réaliste dans un espace concret, elle tente de restituer la perspective intérieure des personnages, la façon dont ils vivent les situations. » explique le directeur de la Schaubühne de Berlin. Qu’il mette en scène des textes contemporains ou des classiques du répertoire, il situe l’action de plain-pied avec les spectateurs, pour leur renvoyer l’image de ce qu’ils sont, loin des clichés retouchés de ce qu’ils imaginent ou voudraient être. C’est dans le décor design de cossues maisons bourgeoises qu’il dévoile les schémas de pensée incrustés à coups d’évidences, les peurs ravalées et les mécanismes sociétaux qui chaque jour broient tranquillement l’humanité commune et gangrènent l’être au plus intime.
Symptôme de notre époque
Avec La vipère (The Little Foxes), de Lillian Hellman (1905-1984), le metteur en scène allemand tacle la passion dévorante de l’argent qui finit par tuer autant que la domestication des femmes, assignées à résidence dans le rôle d’épouse soumise. Immortalisée en 1941 par Bette Davis dans le film de William Wyler, Régina, épouse d’un riche banquier, ourdit une machination pour soutirer à son mari le capital qui lui permettrait d’investir dans une opération financière et de gagner son indépendance. « Elle rêve d’une vie autonome, loin de sa province monotone, qu’elle n’a jamais quittée, loin de son mari, Horace, malade du cœur, dont elle dépend, loin de la nostalgie aristocratique de sa belle-sœur Birdie, qui noie ses désirs ardents et ses ressentiments larmoyants dans l’alcool, explique Florian Borchmeyer, dramaturge. Loin de tailler ce personnage en monolithe monstrueux, Thomas Ostermeier en fait le symptôme d’une société où la promesse du bonheur reste attachée aux valeurs de l’argent.
Gwénola David
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