Standing Up de Sylvie Pabiot, une expérience sensorielle troublante

Dans l’obscurité intense du plateau, on distingue des fragments de corps nus. Des morceaux de dos, allongés, apparaissent, disparaissent. Et petit à petit, on distingue deux interprètes, qui s’érigent avec une grande lenteur, comme étirant le temps. Aux manettes de cette pièce épurée et énigmatique, il y a la chorégraphe Sylvie Pabiot – ancienne interprète pour Maguy Marin ou Lia Rodrigues – qui depuis 2004 avec Wejna, sa compagnie basée à Clermont-Ferrand, tisse une réflexion politique à travers une écriture chorégraphique minimaliste, précise. Avec Standing Up (2018), elle déplie le cheminement de l’humain qui se met débout, allégorie de notre évolution biologique, qui renvoie aussi au corps politique, résistant.

Des corps hors de l’espace et du temps

La magie surgit grâce aux jeux de lumières qui caressent les corps et les sculptent. Ils sont orchestrés depuis les coulisses – quatre interprètes œuvrent, à la fois sur scène et maniant les lumières –  ou grâce à des lampes de poche fixées directement sur les danseurs. Les parcelles de corps émergent, telles des visions oniriques, étranges, qui flottent dans le vide hors de notre espace-temps. Si ces tableaux évoquent des esthétiques picturales, invoquant les œuvres du Caravage ou de Rembrandt, ils font surtout naître une atmosphère étrange, et même une expérience troublante, aussi effrayante que rassurante. L’obscurité fait perdre tout repère et nous aspire dans un sas utérin, qui trouble la perception. Quant à la musique sourde de Nihil Bordure, englobante, sourde, elle crépite dans nos oreilles, résonne dans nos tripes jusqu’à l’acmé finale pour finir de nous enlever au monde connu. Hypnotique, Standing Up nous plonge dans un état de conscience modifié, invite à écouter nos sensations et libère nos imaginaires.

Belinda Mathieu