Entretien / Jörg Widmann
Correspondances germaniques Le compositeur [...]
Focus -223-Convergences à l'Opéra national de Paris
Convergences propose un passionnant parcours au sein de l’œuvre vocale du compositeur de Pierrot lunaire.
La traversée du xixe siècle et le surgissement du romantisme ont profondément et continûment bouleversé l’écriture instrumentale. L’art de la symphonie notamment n’est plus le même après le passage des génies, Beethoven, Berlioz ou Mahler. Pour la musique vocale, c’est un peu différent, peut-être parce que le lied symbolise plus que toute autre forme la relation romantique de la musique au monde. Or, à l’aube du xxe siècle, l’exemple schubertien demeure indépassable, et nourrit encore des pages magnifiques, tels les Mörike Lieder d’Hugo Wolf, chantés le 30 janvier par le ténor Norbert Ernst. Arnold Schoenberg (1874-1951), lorsqu’il compose ses premiers opus, s’inscrit dans cette même tradition, cherchant son propre Goethe et le trouvant pour son opus 2 dans la poésie marquée par le naturalisme de Richard Dehmel. C’est ce même poète qui lui inspire l’argument de son sextuor La Nuit transfigurée, interprété le 21 mai par Les Dissonances. Mais, déjà, Schoenberg veut se donner des moyens nouveaux de décrire le monde. Se penchant en 1899 sur un poème de Hugo von Hoffmannsthal, qui sera plus tard l’extraordinaire librettiste de Richard Strauss, il écrit en marge de la partition : « Doit être interprété moins en chantant qu’en déclamant, qu’en décrivant, comme s’il s’agissait d’analyser un tableau ancien ». Comme les romantiques, Schoenberg veut lever les obstacles stylistiques sur les chemins de l’expression. Dès 1901, avec les Gurrelieder, il ouvre à la démesure l’univers du lied. La version originelle pour voix et piano de 1901 (donc sans son orchestration titanesque) invite à se concentrer sur l’invention mélodique et rythmique de l’œuvre. Elle sera chantée les 14 et 15 octobre par Michaela Kaune, Janina Bachle et Torsten Kerl avec Marino Formenti au piano.
Une nouvelle articulation du texte et de la musique
En 1909, avec le monodrame Erwartung, qui sera donné dans la grande salle le 18 octobre par Angela Denoke et l’Orchestre de l’Opéra dirigé par Ingo Metzmacher, Schoenberg porte la voix vers des horizons nouveaux, à distance du chant et de la déclamation. Les « trois fois sept mélodrames » de Pierrot lunaire en 1912 accentuent cette démarche et introduisent la notion de Sprechgesang (« parlé-chanté ») tout en restant d’une certaine manière dans l’esprit du cycle de lieder. Surtout, l’œuvre invente une articulation nouvelle de la voix aux instruments, une nouvelle façon de mettre le texte en musique, ou mieux encore, en couleur – on a souvent comparé à raison la démarche artistique de Schoenberg et celle de Kandinsky. Les compositeurs de la modernité au xxe siècle s’en souviendront, tels Pierre Boulez (Le Marteau sans maître) ou Bruno Mantovani dont une nouvelle œuvre (pour clarinette, violon et piano) accompagne le 18 novembre Pierrot lunaire et la Symphonie de chambre op. 9 de Schoenberg.
Jean-Guillaume Lebrun
Convergences, de septembre 2014 à juillet 2015. Opéra-Bastille, Amphithéâtre, Place de la Bastille, 75012 Paris. www.operadeparis.fr
Correspondances germaniques Le compositeur [...]