Restons inventifs !

« Alain Leprest faisait partie de nos vies. »

Quelle est la symbolique du colibri, emblème de cette nouvelle saison?

Leïla Cukierman : Petit oiseau capable de miracles, il est l’allégorie de l’insignifiant qui revêt une puissance de résistance : il prend les vents contraires, s’échappe, pollinise, construit… Le colibri produit de l’imaginaire, primauté de l’art dans un monde dévoreur. La société contemporaine est un rouleau compresseur : le colibri résiste et suspend cette vitesse inconséquente.

Un rapport avec votre amour de la culture haïtienne, toujours présente dans la programmation ?

L.C. : Haïti est le pays de la créolisation, la rencontre de cultures qui invente une langue et un imaginaire communs. Haïti, c’est le colibri, petit pays qui subit le volcan, le choléra, l’esclavage, mais qui cultive et résiste. C’est un pays en lutte.

La programmation se ré-ancre davantage dans la chanson…

L.C. :  Ce choix est en partie dû à la disparition d’Allain Leprest : il faisait partie de nos vies, le Théâtre l’a accompagné durant quelques années. Le meilleur moyen de rendre présent Allain dans la saison était de renforcer la place de la chanson. On s’est donc placé dans sa perspective à lui : la chanson d’auteur, dans une dimension d’ouverture au monde, sur des terrains où elle rencontre d’autres esthétiques : le conte, le rap, le théâtre masqué, la poésie… On souhaite rester inventif et imprévisible, ne pas être là où on nous attend.

Propos recueillis par J.L. Caradec et V. Fara

Allain Leprest vu par Leila Cukierman

« Allain Leprest était en permanence baigné dans le tissu du réel, notamment à Ivry : il attrapait des situations, des personnages, qu’il mettait à jour. Il inscrivait son écriture dans le quotidien des gens, une écriture surréaliste faite de fulgurances, de collages quasi documentaires. Par son immense émotion, il se mettait – et nous mettait – en danger. J’avais toujours peur qu’il n’aille pas au bout, il rendait les situations fragiles, sur scène comme dans sa discographie. Mais tout en se donnant cet espace d’être dérangeant, il était d’une grande acuité, d’une grande perspicacité. Une complexité liée à une fêlure intime qu’on ne peut pas sonder, transcendée par l’écriture. »