Le Théâtre du Passage à Neuchâtel a 20 ans
Depuis plus de 20 ans maintenant, le Théâtre [...]
Focus -293-Le Théâtre du Passage à Neuchâtel : hors des sentiers battus
Artiste international et attaché à son territoire, Robert Bouvier a fondé un lieu qui peut-être lui ressemble, où il conjugue travail de terrain et ouverture sur le monde. Histoire d’un itinéraire original.
Vous avez un parcours atypique dans le théâtre ?
Robert Bouvier : Je suis originaire de Neuchâtel et je suis venu à Paris après le Bac. Je m’y suis formé au Cours Lecoq et Martin Barbaz, tout en suivant un double cursus à la Sorbonne en littérature et cinéma. Ensuite, je suis rentré au Théâtre National de Strasbourg. Comme j’ai la double nationalité anglaise et suisse et que ma mère est italienne, après l’école, j’ai beaucoup voyagé. J’ai travaillé en France et dans des pays anglophones, j’ai réalisé un film à Montréal… En 2000, je travaillais avec Irina Brook quand j’ai décidé de revenir dans ma ville natale pour fonder le Théâtre du Passage.
Étiez-vous alors comédien ?
R.B. : Absolument. Et pas encore metteur en scène. Il est assez rare qu’un comédien prenne ce genre d’initiative, mais j’avais envie de pouvoir programmer et ce dans des disciplines différentes. Par ma formation au TNS, j’avais été sensibilisé aux questions de décentralisation et de démocratisation de la culture, j’avais donc envie de voir comment nous pouvions conduire les spectateurs vers de nouveaux territoires. Je voulais mettre mes désirs à l’épreuve du réel, découvrir aussi des réalités autres comme l’économie du spectacle ou les relations avec les institutions publiques.
Vous avez donc choisi de revenir sur vos terres ?
R.B. : Neuchâtel est une petite ville et on peut ainsi vite évaluer l’efficacité de ce qu’on entreprend. A la place du Théâtre du Passage, il y avait un petit théâtre à l’italienne. Avec un architecte, nous avons pensé ce nouveau lieu pour qu’il puisse accueillir une grande diversité de formes théâtrales. Depuis, nous avons réussi, je crois, à développer un lieu important pour la région, mais également pour les artistes de Suisse et d’ailleurs.
20 ans après, quelles sont selon vous vos plus grandes réussites ?
R.B. : Je crois avoir tenu le pari d’une programmation intense – plus de 40 spectacles par an – alors que la billetterie pèse pour 40 % dans le budget. J’ai parié sur le fait que l’offre crée la demande, en ne misant pas sur des têtes d’affiche. Je suis fier d’avoir fait découvrir Anne Benoît ou Claude Degliame au public par exemple, plutôt que des actrices stars. Ce théâtre est important aussi parce qu’il fait venir en Suisse des artistes talentueux de tous pays, et notamment de France. Tout dernièrement, nous avons reçu Thomas Jolly. C’est primordial pour que le théâtre suisse continue de se nourrir d’apports extérieurs. J’ai aussi mené un travail de mise en place de médiations et d’ateliers scolaires qui m’a passionné.
Quelle place occupe votre compagnie dans le théâtre ?
R.B. : Nous y faisons une création par an. Parfois je mets en scène, parfois nous accueillons d’autres metteurs en scène. Fabrice Melquiot, Charles Tordjman, Gilles Bouillon, Marion Bierry, Agathe Alexis sont par exemple venus travailler avec nous. Pour ma part, j’ai mis en scène une dizaine de spectacles depuis 2000.
Quelles sont les grandes orientations de votre travail de metteur en scène ?
R.B. : Je m’inscris dans un univers éclectique, qui peut concerner le monologue ou une pièce avec 15 acteurs, à travers Tchekhov, Marivaux, mais aussi Daniel Keene ou une écriture de plateau. Je m’emploie également à créer un théâtre pour les acteurs, pour qu’ils puissent y déployer leur talent. En France, je tourne à la fois dans le réseau privé – par exemple le Petit ou le Grand Montparnasse – et le théâtre public – par exemple au Théâtre de la Tempête ou au Théâtre des Quartiers d’Ivry. J’essaye de ne pas m’enfermer dans des cadres figés.
Votre dernière création est-elle un hommage au théâtre ?
R.B. : Plutôt une déclaration d’amour. Je me sens encore comme un débutant, très émerveillé de faire du théâtre. Les merveilles raconte la seconde qui précède le début d’un spectacle. Les pensées, les émotions, les réflexions qui traversent tous ceux qui ont participé à sa création, de l’ouvreur aux artistes. C’est un spectacle kaléidoscopique qui parle de théâtre mais pas seulement. Il fait aussi vibrer, j’espère, le désir d’être soi, toujours plus intensément.
Entretien réalisé par Eric Demey
Tel : 0041 32 717 79 07.