Quan lo Rossinhols de l’ensemble Ars Nova au TAP de Poitiers

Chanteurs, poètes, musiciens, voyageurs : l’art des troubadours, qui naît au cours du XI^e siècle dans le monde occitan, est un art total. En même temps qu’il crée, pour la première fois sans doute dans l’Occident chrétien, une tradition musicale profane, il forge un imaginaire, tout un langage symbolique dont l’héritage n’est aujourd’hui toujours pas épuisé. Depuis Guillaume de Poitiers, narrant en chansons ses aventures en Terre sainte, jusqu’à l’élaboration du thème de l’amour courtois par Jaufré Rudel ou Bernard de Ventadour (des femmes aussi, telle Béatrice de Die), on voit ainsi apparaître la figure du rossignol. Tout à la fois allégorie du chant et emblème du renouveau du printemps, l’oiseau se fait le messager de l’amour. Chanteur, messager, contemplateur des beautés du monde — héraut aussi de la nuit et de la mort —, il est le double des troubadours, l’essence de la musique.

Une écoute croisée, contemplative et active

À quelque huit siècles de distance, Luciano Berio (1925-2003), qui fut l’un des maîtres de la modernité radicale de l’après-guerre, puise encore à cette source fondatrice lorsqu’il compose ses Folk Songs (1964), où figure par exemple ce « Rossignolet du bois », exemple de ce patrimoine en langue d’oc. C’est cette histoire que raconte ce programme d’Ars Nova, une histoire de notre rapport à l’écoute, à un chant originel dont les hommes veulent se rapprocher. Musique d’hier, avec l’Ensemble Gilles Binchois, maître du répertoire des troubadours, musique d’un « grand aujourd’hui » (de Ravel et Stravinsky à Messiaen et Berio) avec Ars Nova : c’est une invitation à une écoute croisée, contemplative autant qu’active, qui nous est proposée. Cette expérience du temps long de la musique, de sa perpétuelle quête d’une façon de chanter le monde, se poursuit  avec une création originale, commandée au Catalan Joan Magrané Figuera (né en 1988) de Quatre fragments de Jaufré Rudel.

Jean-Guillaume Lebrun