L’Autre fantasmé
Dans Invasion !, l’auteur suédois Jonas Hassen Khemiri montre comment se cristallisent la figure fantasmée de l’Autre et les collusions racistes. Michel Didym s’empare de cette partition virtuose.
Qui est Abdulkasem, dont le nom bruisse sur toutes les lèvres ?
Michel Didym : Au commencement, Abdulkasem désigne le héros d’une œuvre d’Almqvist, auteur classique suédois du 18ème siècle, qui raconte les péripéties d’un corsaire arabe débarquant en Sardaigne. Ce nom va ensuite circuler dans l’imaginaire populaire et prendre des connotations tantôt gratifiantes, tantôt malsaines. Chacun en use à sa manière pour définir une nouvelle identité, inventer une histoire. Selon les époques, ce mot suggère d’abord la peur ou la médiocrité, puis au contraire une qualité extraordinaire, puis se teinte à nouveau négativement et évoque le fanatisme musulman. En jouant avec les codes de la représentation, la parodie et la mise en abyme, Jonas Hassen Khemiri montre, à travers les glissements sémantiques successifs et l’intrigue savamment nouée, la fabrication et la manipulation du mythe.
« Une formidable partition, qui demande rigueur et générosité. »
Qu’est-ce qu’il révèle du rapport à l’Autre et de sa place dans la société ?
M. D. : Abdulkasem permet l’affirmation revendiquée d’une différence qui refuse de se fondre dans la normalité. Il révèle aussi la stigmatisation de l’étranger, la collusion insidieusement faite entre Islam et islamisme, musulman et terroriste, par la force d’un pilonnage médiatique continu sur l’opinion publique.
Le texte mixe les genres et les modes de narration. Comment travaillez-vous cette langue ?
M. D. : Les multiples niveaux d’écriture dessinent différents angles de vue qui peu à peu construisent une narration éclatée. Le travail consiste à mettre en vibration les réverbérations et micro-implosions de sens qui renvoient à la complexité du réel. Pour les acteurs et le metteur en scène, ce texte offre une formidable partition, qui demande rigueur et générosité.
Propos recueillis par Gwénola David
Invasion !, de Jonas Hassen Khemiri ; mise en scène de Michel Didym, du 19 mars au 17 avril 2010 à 21h ; le dimanche à 16h.