Sur les thèmes éternels de la déchéance et de la débine, des amours sans lendemains et des lendemains sans pain, la chanson réaliste hausse le drame à hauteur de tragédie.
Goualeuse à la gouaille effrontée, cousettes aux bouquets de violettes que les pavés mouillés font souvent glisser jusqu’au ruisseau, donzelles que leur cul a fait baronne ou leur cœur putain, filles de salle, filles de rue, filles de rien… Hommes de pas grand chose, le gris au bec et le coude scellé au comptoir, marins perdus dans les brumes des ports dont l’ultime fanal se trouve entre les cuisses de celles qui noient leurs rêves et leur honte dans l’absinthe, mauvais garçons du Sébasto ou Apaches des fortifications, coquins trop beaux à la main trop leste, légionnaires ardents sentant le sable chaud, maquereaux rois du surin, gosses mal embouchés ou ravitailleurs de barricades, amoureux dont l’échec est tatoué sur la peau ou fiché comme un remords au fond d’un cœur meurtri… La chanson réaliste réunit la fine fleur de la fraternité, de la révolte, du guignon et de l’amour, celle qui gueule vers un ciel sourd aux malheureux et à la face des bourgeois repus aveugles aux nécessiteux, celle qui geint doucement, n’a comme giron que celui d’une société marâtre et point d’autres anges gardiens que les gendarmes… Fréhel, Piaf, Damia, Lys Gauty, Marie Dubas, Yvette Guilbert, Berthe Sylva et tant d’autres à la voix rocailleuse, chaude, profonde, parfois brisée, ont immortalisé ces plaintes sentimentales et pathétiques où les blessures portent le chant plus haut que le cri.
Catherine Robert