La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Jacques Vincey

Jacques Vincey - Critique sortie Théâtre
Crédit : Anne Gayan

Publié le 10 octobre 2009

L’instabilité des rêves

Le Belvédère, Mademoiselle Julie, Madame de Sade, La Nuit des rois. De spectacle en spectacle, Jacques Vincey explore les fissures nées de l’opposition entre la tête et le corps, la volonté et l’instinct. En créant pour la première fois une œuvre de William Shakespeare, le metteur en scène continue d’avancer sur cette ligne de fracture.

Qu’est-ce qui a été déterminant dans votre envie de mettre aujourd’hui en scène une pièce de Shakespeare ?
Jacques Vincey : Ce qui m’intéresse particulièrement dans l’œuvre de cet auteur, c’est qu’elle entremêle des codes théâtraux très divers. Elle passe en permanence du romantisme à la trivialité, du lyrisme au quotidien, du banal à l’étrange, du tragique au burlesque… Chez Shakespeare, les ruptures interviennent à chaque instant, on ne se trouve jamais enfermé dans une stabilité de forme. Cette diversité est, pour moi, un terrain privilégié pour continuer de creuser des questions qui me tiennent spécialement à cœur : celles de l’identité, du trouble et du désir.
 
Pour quelles raisons ces questions vous intéressent-elles particulièrement ?
J. V. : Evidemment, je crois qu’elles doivent interroger quelque chose d’intime en moi. Mais, ces questions se situent également au centre du théâtre. Le divorce entre l’apparence des choses et leur essence véritable est l’une des dimensions du théâtre qui me passionnent le plus, non seulement en tant que metteur en scène, mais aussi en tant que spectateur. Le monde dans lequel nous vivons nous pousse toujours à nous rassurer, à correspondre à des formats, à nous enfermer dans des cases, dans des catégories. J’ai envie d’aller à rebours de cette tendance en favorisant l’idée d’aventure, en essayant de découvrir ce qu’il y a d’inattendu et d’inconnu, en ouvrant la vie à toutes sortes de possibilités, toutes sortes de désirs.
 
« La Nuit des rois avance comme pourrait avancer un rêve. »
 
Cet esprit d’aventure et d’ouverture est-il à l’œuvre dans votre mise en scène de La Nuit des rois ?
J. V. : Je l’espère. Comme le dit le personnage de Feste : « Rien n’est de ce qui est ». Cette phrase ouvre des champs de réflexion très vastes. Dans La Nuit des rois, il faut affirmer « ce qui est » tout en laissant la place à « ce qui n’est pas » mais qui pourrait finalement se révéler plus important que « ce qui est ». J’ai donc veillé à laisser un maximum de signes ouverts. Cette histoire qui tourne autour de la séduction, de l’amour, du deuil, de la gémellité prend place en Illyrie, un pays entre réel et imaginaire. Un pays qui renvoie, par assonance, à la notion de paradis. Mais, il s’agit d’un paradis dans lequel les choses ne vont pas aussi bien que l’on pourrait l’espérer.
 
Quelle vision de l’Illyrie avez-vous souhaité donner au spectateur ?
J. V. : J’ai voulu être très précis, tout en me gardant d’être définitif ou exhaustif. La Nuit des rois fait s’entrecroiser plusieurs intrigues. J’ai souhaité retranscrire, sur scène, cette richesse, ce foisonnement-là. Cette pièce avance comme pourrait avancer un rêve. Elle révèle des choses très fragiles, qu’il ne faut pas illustrer. J’ai donc fait en sorte de me donner les moyens de l’instabilité propre aux rêves. Ceci, en privilégiant l’émotionnel au rationnel, en travaillant sur les chocs dus à la confrontation des différents codes théâtraux utilisés par Shakespeare. Ce monde – où tout semble parfait sans pourtant l’être – pose la question d’un désir qui parfois s’émousse, un désir qui finit par se raviver lorsqu’il est troublé par des choses inavouables. C’est ce trouble qui vient réenchanter ce paradis dans lequel les personnages s’ennuient. A travers le mensonge, les oppositions entre le vrai et le faux, il mène jusqu’à une vérité beaucoup plus forte, beaucoup plus profonde que la vérité communément admise. 
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


La Nuit des rois ou ce que vous voudrez, de William Shakespeare ; mise en scène de Jacques Vincey. Du 26 novembre au 6 décembre 2009.

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