La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -293-Le ThéâtredelaCité à Toulouse développe des pratiques fédératrices et créatrices

Insoutenables longues étreintes – La Série, traduction Sacha Carlson et Galin Stoev, mise en scène Galin Stoev

Insoutenables longues étreintes – La Série, traduction Sacha Carlson et Galin Stoev, mise en scène Galin Stoev - Critique sortie  Toulouse ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie
© François Passerini Insoutenables longues étreintes

Texte Ivan Viripaev / traduction Sacha Carlson et Galin Stoev / mise en scène Galin Stoev

Publié le 27 octobre 2021 - N° 293

Créé au ThéâtredelaCité en décembre 2018, reprogrammé en janvier 2021 puis annulé à cause du confinement, Insoutenables longues étreintes a cependant connu une seconde vie. Entre théâtre et cinéma, une mini-série de six épisodes a été fabriquée à partir de la partition théâtrale. Une excellente manière de faire vivre autrement la pièce, dans une version digitale soigneusement orchestrée.

C’est un long compagnonnage qui unit l’auteur Ivan Viripaev et le metteur en scène Galin Stoev, qui l’a fait connaître en France avec Rêves en 2001, et y a monté Oxygène ou Danse Delhi, avant Insoutenables longues étreintes, semblable à Oxygène par son énergie tenace et son adresse directe au public. Ce qui saisit dans l’écriture d’Ivan Viripaev, c’est sa manière singulière d’entremêler et de télescoper la médiocrité affligeante d’un quotidien sans espoir et un irrépressible besoin de sens. Comme une plongée dans le pire de l’existence qui serait néanmoins tendue de toutes ses forces vers une possibilité de beauté. Étonnante, la langue entretient une proximité saisissante entre le trivial et le spirituel, le sordide et l’onirisme. Galin Stoev met en scène avec maîtrise et subtilité cette partition tranchante, où la mort rôde sans cesse. Il en fait résonner les échos contradictoires, en éclaire la profonde tristesse et aussi les ouvertures vers d’autres possibles, même vaines, rageuses, cantonnées à un imaginaire fantasmatique.

Un voyage initiatique entre aliénation et désir de liberté

Ils sont quatre trentenaires : Monica, Charlie, Amy et Christophe, vivent à New York avant de partir pour Berlin. Les relations se font et se défont, sans que jamais ils ne soient satisfaits. Douleur d’un avortement, tentative de suicide, quête effrénée d’orgasmes, cauchemars de serpents noirs, alcool, drogue, violence, traversée de l’enfer… Sinatra a beau chanter la féerie de New York, la vie est « une vraie saloperie ». Évidemment ce n’est pas dîner dans le meilleur restaurant vegan de la ville qui va donner un sens à l’existence. Les acteurs ici racontent leurs personnages plus qu’ils ne les incarnent, à travers un récit troué de percées oniriques. Car au milieu de tout ce malheur émergent des voix venues de galaxies lointaines, « la voix de l’univers » qui trouble la linéarité et impulse de nouveaux désirs, plus vrais, plus tendres, pour aider enfin à être vivant. C’est à l’intérieur de chacun des personnages qu’elles se font entendre, et cette manière de poser des questions essentielles, d’accorder de l’importance à l’intériorité dans un monde catastrophique est très belle. Une telle partition exige un grand talent de la part des comédiens, qui doivent trouver une distance juste, en lien avec les spectateurs, qui peuvent être déroutés par cette noirceur où le plus vulgaire – signe de l’époque – côtoie des interrogations profondes. Remarquablement dirigés, ils relèvent le défi avec un talent sûr. Profondément touchante, Marie Kauffmann est impressionnante de finesse et de précision dans le rôle de Monica. De même, Pauline Desmet (Amy), Nicolas Gonzales (Charlie) et Sébasien Eveno (Christophe) déploient un jeu remarquable.

Une expérience numérique de théâtre

Lorsque le second confinement a interdit les représentations prévues en janvier 2021, toutes et tous étaient présents au théâtre, soudain contraints à l’inaction et la séparation. Particulièrement inventif, le ThéâtredelaCité a cherché à contrer cet abandon de tout lien et de toute joie de faire. Galin Stoev a eu l’idée de créer un objet audiovisuel hybride, qui a permis aux comédiens et aux équipes de continuer à travailler et à un public peu familier du théâtre de découvrir une pièce contemporaine. Il ne s’agit évidemment pas de remplacer le théâtre mais de construire une relation avec le public. « Je n’aurais pas la prétention de réinventer le théâtre mais je pense qu’on est obligé, vu les circonstances, de réinventer notre lien avec le public. On ne peut pas mettre le théâtre en ligne entièrement, parce qu’on perdrait sa notion principale, c’est à dire partager le même espace-temps en vrai, en présentiel physique, émotionnel, psychique, tous ensemble. » confiait Galin Stoev en janvier 2021. Conçue avec des étudiants de dernière année de l’École Nationale Supérieure d’AudioVisuel de Toulouse (ENSAV), ni captation ni théâtre filmé, la série crée grâce à la proximité intimiste de la caméra une autre relation aux mots, aux corps, à la voix, à la scénographie. Fruits de ce travail expérimental et novateur, les six épisodes de quinze minutes seront diffusés sur les écrans. La télévision serait idéale, pour donner à voir cette expérience fédératrice et fructueuse.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Insoutenables longues étreintes - La Série
ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie


Spectacle vu au Théâtre de la Colline en décembre 2018.

1 rue Pierre Baudis, 31009 Toulouse.

Tél : 05 54 45 05 05. Theatre-cite.com

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le spectacle vivant

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le spectacle vivant