La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Gilles Bouillon

Gilles Bouillon - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2008

Une radiographie des âmes à travers le langage et le corps

Après Le triomphe de l’amour, La seconde surprise de l’amour, La surprise de l’amour, Gilles Bouillon met en scène la pièce la plus abstraite de Marivaux, structurée uniquement par les mots et les mouvements des corps, qui souvent se contredisent.

Pourquoi avez-vous décidé de monter Le jeu de l’amour et du hasard ?
 
Pour les jeunes comédiens. Marivaux est un auteur extrêmement difficile à jouer à cause du langage, une véritable école du jeu autour des thèmes de l’amour, du hasard, des préjugés. La seule didascalie de la pièce, c’est « La scène est à Paris ». On ne peut pas se réfugier derrière le romanesque ou des rituels d’initiation. Il faut revenir à la nature même de la pièce qui est une machine complètement abstraite avec des désaccords fondamentaux, non pas sociaux, mais entre ce qui se dit et ce que les corps disent. Le corps n’est jamais en accord avec la parole. Il s’agit de trouver l’accord du désaccord, comme dit Shakespeare dans Le Songe d’une nuit d’été. Car une fois que les corps et les mots sont en accord, le dénouement est là. Tout notre plaisir de spectateur réside dans cette instabilité, ces étourdissements, ces éblouissements, ces vertiges des personnages. C’est du pur théâtre, disait Louis Jouvet. La phrase, sinueuse et accidentée, révèle une perpétuelle radiographie des âmes à travers le langage et le corps.
 
 « Le corps n’est jamais en accord avec la parole. »
 
Quel rôle joue le conflit entre l’amour et l’amour-propre ?
 
Dans la relation amoureuse, l’amour-propre et l’image de soi sont tout aussi importants que l’emportement du sentiment. L’écoute est fondamentale car chaque personnage s’exprime en réaction par rapport à ce que l’autre vient de dire, parfois avec cruauté. Les valets quant à eux sont pressés de conclure, c’est l’occasion de leur vie : une revanche sociale en même temps qu’un amour qui se révèle.
 
Le jeu complique encore la façon d’appréhender son désir… 
 

Dès le début, Silvia trouve que le valet n’est pas à sa place. Dorante aussi s’étonne. C’est le reniflement de classe dont parle Bourdieu ou Deleuze ! Si Silvia décide de se travestir, c’est par idéalisme, car elle veut vivre une véritable histoire d’amour qui dure et ne pas connaître le malheur de ses amies aux relations conjugales désastreuses. Sa description du mariage dans le premier acte est d’une lucidité incroyable. Les pères très progressistes permettent le déguisement. C’est vertigineux de prendre une autre identité, les personnages ne savent plus où ils en sont, d’autant que c’est la première fois que ces jeunes gens aiment, avec l’énergie des débuts. On n’emploie plus les mêmes mots aujourd’hui, mais les tourments du cœur sont les mêmes. Ce qui nous passionne c’est de suivre les cheminements de ces six protagonistes, que je fais évoluer dans un espace blanc, une boîte mobile abstraite où les corps sont exposés.

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