La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Bernard Pico

Bernard Pico - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2008

Un sextuor musical

Qu’est-ce qui vous séduit dans la pièce ?
 
Le jeu de l’amour et du hasard est une comédie à l’état pur comme Bérénice serait une tragédie à l’état pur. Tout est dans le rapport entre les personnages. La langue étonnante, en aucun cas bavarde, est action. Chaque mot doit taper dans le cœur du partenaire. Les mots provoquent des réactions dans les corps et les sentiments. Il faut transformer ces mots en mouvements. En même temps, cette « chorégraphie » ne doit pas perturber l’écoute. Souvent le langage est un déni : une stratégie amoureuse du détour se met en place. Tout cela doit être interprété avec la rigueur d’une partition musicale. C’est un bonheur et une difficulté pour les acteurs, qui doivent s’approprier cette langue quasi étrangère. « Comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots… » dit Roland Barthes dans Fragments d’un discours amoureux. Ce n’est pas un hasard si faire l’amour au XVIIIe siècle signifie parler d’amour !
 
« Ce n’est pas un hasard si faire l’amour au XVIIIe siècle signifie parler d’amour ! »
 
Le jeu de cache-cache est très risqué…
 
Silvia et Dorante mentent pour trouver la vérité de l’autre, et en se masquant se révèlent à eux-mêmes. Silvia, prise à la fois dans les contraintes sociales et celles de son propre orgueil, change de facette à chaque acte. C’est toute la vertu du théâtre : l’illusion et l’apparence débusquent une vérité profonde. Et le travestissement n’a pas pour simple fonction de trouver la vérité, il a aussi une fonction de pur plaisir hédoniste. Cette pièce est un moment charnière dans les productions de Marivaux, et marque une mutation à la fois sociale et psychologique. Les sentiments, ce que pense une femme de son propre bonheur constituent le centre de la pièce. Ce jeu de cache-cache, ce retardement de l’aveu, sont encore totalement présents dans nos comportements amoureux, la quête du bonheur individuel taraude la jeunesse.
 
Après ces multiples transports et inclinations, tout rentre dans l’ordre à la fin. Marivaux est-il conformiste ?
 
L’amour se conforme au hasard des naissances. Le préjugé est vaincu pour Dorante, qui consent à épouser une soubrette, mais Silvia ne peut épouser un valet. C’est impensable pour l’époque ! Il est possible qu’un aristocrate épouse quelqu’un de plus bas dans l’échelle sociale, mais une femme ne peut le faire. La raison des Lumières, modérée, cherche des justes milieux, des équilibres, même si en fin de compte les vérités les plus profondes sont sorties des deux valets, des accélérateurs immergés dans la sensualité et le charnel. L’affirmation du désir ne remet pas en cause l’ordre établi, mais annonce par ses mécanismes la Révolution, et prouve magistralement l’importance d’une psychologie en train de naître.

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