Faire vivre la culture au-delà des murs des théâtres, rencontre avec Dominique Bluzet

Vous êtes à la tête de quatre lieux dans deux villes :  Marseille et Aix-en-Provence. Comment envisagez-vous votre métier ?

Dominique Bluzet : L’enjeu essentiel pour nous est de faire vivre la culture non seulement entre les murs des théâtres mais aussi sur tout le territoire, en créant des formes spécifiques de rencontres avec le public. Si les gens ne viennent pas à nous, c’est à nous d’aller vers eux. Le métier de directeur de théâtre appelle cet engagement, ce souci du public. Qu’est-ce que la société attend de nous ? Cette question essentielle, parfois étrangement absente, signifie que le public doit être au centre de la réflexion et des missions du théâtre. Il est primordial de conjuguer dans un même élan le soutien aux artistes et la fabrication du public, avec une conscience aiguë de son importance, sur la durée. Le ministère de la Culture est parfois confondu avec le ministère des artistes alors qu’il est celui de tous les citoyens. C’est le projet du théâtre qui importe, pas le projet du directeur. Il s’agit de proposer une grande diversité de créations, mais aussi de trouver des moyens de développer le rayonnement des théâtres au-delà du périmètre habituel, de toucher les jeunes, car force est de constater que le public vieillit.

« Si les gens ne viennent pas à nous, c’est à nous d’aller vers eux. »

Que proposez-vous ?

D.B. : Je pense qu’un certain nombre de services publics devraient fonctionner comme dans l’informatique : avec une unité centrale et des unités périphériques. Sur le territoire de la Métropole d’Aix-Marseille-Provence existent de nombreuses petites villes avec des salles de spectacles qui ne remplissent pas leurs rôles, qui connaissent des difficultés financières. Les relier à un théâtre comme le nôtre permettrait de toucher les spectateurs éloignés avec des propositions artistiques de haut niveau, tout en faisant tourner davantage les compagnies qu’on accompagne ou les spectacles qu’on produit. Dans toutes ces petites villes, nous sommes en capacité de proposer aux élus d’y organiser des programmations. Le risque est sinon d’installer des préfectures culturelles, et de laisser plus ou moins à l’abandon des déserts culturels insuffisamment irrigués. Le monde change et nous invite à changer nous aussi, à repenser notre relation aux publics, en étant créatifs, en provoquant le partage y compris là où l’art n’est pas attendu.

Quels sont les dispositifs que vous avez mis en place afin de relever le défi du renouvellement du public ? N’est-ce pas aussi à cause du Covid que la fidélité du public a été fragilisée ?

D.B. : Même si le Covid a contribué à réduire le nombre d’abonnements en laissant plus de place aux décisions de dernière minute, il ne constitue pas la seule explication. Nous avons décidé de promouvoir la conquête ou la reconquête du public à l’intérieur mais aussi à l’extérieur des salles. Soutenue notamment par le Département des Bouches-du-Rhône, l’opération ALLER VERS permet justement d’aller au-devant du public, la plupart du temps gratuitement, dans toutes sortes d’espaces publics – les bars, les écoles, les cours d’immeubles, les églises, les hôpitaux… Le numérique nous a aidés aussi à orchestrer autrement la rencontre avec les artistes, grâce à une collection de podcasts, afin de susciter le désir, de toucher davantage de gens. J’ai créé aussi Assami, association des amis et mécènes du spectacle vivant, qui vise à rendre la culture accessible sur tout le territoire d’Aix-Marseille en travaillant notamment trois axes : les enfants, les publics empêchés et isolés et les projets intergénérationnels. Nous développons deux sillons complémentaires : les représentations au théâtre – nous vendons 200000 places par an – et l’irrigation du territoire. D’une manière générale, je pense aussi qu’il serait bénéfique de présenter moins de spectacles plus longtemps, afin de laisser le temps au bouche-à-oreille de se fabriquer.

Quelle est la tonalité de votre saison ?

D.B. : Elle est avant tout joyeuse, riche d’aventures artistiques de toutes sortes. J’aime à cet égard citer Albert Camus : « il n’y a pas de honte à préférer le bonheur ». Notre brochure est comme une agence de voyages, ouvrant vers de multiples directions. Nous couvrons tous les champs du spectacle vivant. Le Gymnase est fermé pour travaux, mais une programmation hors les murs s’est construite en solidarité avec divers lieux marseillais. À l’affiche des Théâtres, l’Opéra de Paris, la Comédie-Française, le Ballet National de Marseille, Joël Pommerat et bien d’autres, mais aussi de tout jeunes artistes. Notre communauté artistique rassemble 12 artistes et 4 ensembles musicaux, dans une dynamique de création et compagnonnage. Deux de nos productions, Le Roi Lear de Georges Lavaudant avec Jacques Weber et La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg mis en scène par Charles Tordjman, sont nominées aux Molières 2022. Et toujours afin d’élargir le public, nous initions un volet de représentations le matin, ainsi qu’un cycle de spectacles de moins d’une heure avec notamment des Molière en un acte. Le théâtre appartient à l’ensemble de la société !

Propos recueillis par Agnès Santi