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Focus -289-Spedidam : tour d’horizon au cœur d’une année mouvementée

Faire face

Faire face - Critique sortie
Gérard Damerval © Jean-Luc Caradec / F 451 productions

Entretien Guillaume Damerval, gérant de la Spedidam

Publié le 18 décembre 2020 - N° 289

Pandémie de Covid-19, réduction drastique de ses perceptions, arrêt très dévaforable de la Cour de justice de l’Union européenne, bras de fer encore en suspens pour l’obtention de droits nouveaux pour les artistes-interprètes lors des nouvelles utilisations sur Internet : les dossiers et les combats à mener sont nombreux pour le gérant de la Spedidam. Etat des lieux.

Cette rentrée est très agitée pour le monde des arts vivants. Comment ressentez-vous l’effet de la pandémie de Covid 19 sur la vie des artistes ? 

Guillaume Damerval : La Spedidam a salué les dispositions gouvernementales à l’attention des artistes, très positives en comparaison de la plupart des autres pays du monde. Malgré cela, l’annulation des spectacles et des tournées est très compliquée à vivre pour une grande majorité de musiciens, chanteurs, danseurs, comédiens ou circassiens. Outre une baisse de revenu significative, ils n’ont aucune visibilité sur l’avenir à court et moyen termes. Dans ce contexte où les artistes-interprètes traversent une période difficile, il est d’autant plus frappant que leur travail soit massivement utilisé sur les services à la demande, c’est à dire les plateformes de streaming et de téléchargement. Et qu’à ce jour, l’immense majorité des artistes-interprètes ne perçoive aucune rémunération sur ces services, qu’ils soient payants ou « offerts » et financés par les annonceurs via la publicité.

« Il est crucial que les artistes puissent obtenir une rémunération sur l’utilisation de leur travail sur Internet. »

Que faire dans cette situation ?

Guillaume Damerval : Nous y travaillons. Une directive européenne doit être transposée en droit français et ce texte, qui devrait voir le jour à travers une ordonnance, est un espoir pour les artistes de percevoir une rémunération sur l’utilisation de leur travail par ces services à la demande. Ce mécanisme est déjà déployé en Espagne et les artistes sont payés via leur organisme de gestion collective. Les perceptions de l’utilisation de musique dans les lieux sonorisés (bars, discothèques, restaurants, etc…) sont en baisse pour l’année 2020. Nous n’avons pas de visibilité pour l’année 2021 mais concrètement les artistes auront une baisse de leurs droits d’artistes-interprètes, et une chute de revenus dans le spectacle vivant. Cela commence à faire beaucoup ! Il est donc crucial qu’ils puissent obtenir une rémunération sur l’utilisation de leur travail sur Internet.

Plus largement, quel manque à gagner va représenter la crise sanitaire pour la Spedidam?

Guillaume Damerval : Il est encore difficile de répondre précisément à cette question. Nous estimons, à ce jour, une baisse des perceptions de la rémunération équitable d’environ 30% sur 2020. Combien de temps cette baisse va-t-elle durer ? Impossible à dire car cela dépendra de la durée de la crise. Même si le volet « Copie Privée » de nos ressources devrait mieux s’en sortir en 2020, nous n’avons pas de visibilité sur les prochains mois. Les perceptions de « droits exclusifs », c’est-à-dire l’utilisation d’enregistrements dans le spectacle vivant, vont chuter de plus de 75% en 2020. Il est probable que cette chute perdure si la crise sanitaire devait se prolonger.

L’autre grand sujet est l’arrêt délivré le 9 septembre par la Cour de justice de l’Union européenne concernant les droits « irrépartissables juridiques ». De quoi s’agit-il ? 

Guillaume Damerval : L’arrêt délivré par la CJUE le 8 septembre fait suite à un litige entre une société d’artistes et une société de producteurs irlandais.  Par sa décision, la CJUE contraint les organismes de gestion collective européens, dont la Spedidam, à reverser les sommes perçues au titre de la rémunération équitable sur les enregistrements fixés hors de l’Union européenne à tous les artistes et producteurs, y compris ceux dont les phonogrammes proviennent de pays qui n’ont pas signé les traités internationaux prévoyant la rémunération équitable ou qui, à l’instar des États-Unis, ont signé ces traités en écartant le principe de réciprocité et en formulant des réserves prévoyant qu’ils ne verseront pas cette rémunération aux artistes et producteurs de phonogrammes européens. La CJUE met ainsi fin à ce qu’on appelle les « irrépartissables juridiques », ces sommes qui correspondent aux droits à rémunération équitable des artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes de pays tiers à l’Union européenne, n’ayant pas signé la convention de Rome en 1961 et qui étaient jusqu’à présent affectées à l’action artistique des OGC : aides à la création, à la diffusion du spectacle vivant, à l’éducation artistique et culturelle, à la formation et à l’emploi d’artistes…  Ces sommes devront donc être réparties au titre de la rémunération équitable aux artistes et producteurs concernés par la diffusion des phonogrammes auxquels ils ont participé, même si ces derniers ont été fixés hors de l’UE et quelle que soit la nationalité de leur producteur. La rétroactivité de la décision de la CJUE – qui porterait sur les 5 dernières années et alourdirait d’une trentaine de millions supplémentaires la facture de la Spedidam – est pour le moment incertaine. Nous réalisons des analyses juridiques plus approfondies afin d’avoir les réponses à nos questions.

Quelle a été votre réaction dans cette situation ?

Guillaume Damerval : Nous avons réagi rapidement en interpellant les pouvoirs publics et en allant à la rencontre de la ministre de la Culture et des conseillers à la culture de Matignon. La décision de la CJUE est particulièrement complexe à analyser et plusieurs projets d’études juridiques sont menés actuellement. Nous demandons à l’Etat français ainsi qu’à l’ensemble des parties prenantes d’agir pour adapter le droit de l’Union et empêcher l’effondrement du système économique d’un secteur plus que fragilisé. La CJUE relève dans sa décision que la nécessité de préserver des conditions équitables de participation au commerce de la musique enregistrée entre les artistes-interprètes et producteurs des différents États constitue un « objectif d’intérêt général ». Une solution serait de ratifier au niveau européen le critère de réciprocité des droits relatifs à la rémunération équitable.

« La décision de la Cour de justice de l’Union européenne met en péril le financement des aides à la création en France. »

Quel va être l’impact financier pour la Spedidam ? Quelles vont être conséquences concrètes pour vos actions ? 

Guillaume Damerval : La décision de la CJUE met en péril le financement des aides à la création en France. Si l’interprétation la plus radicale de cet arrêt devait être confirmée, elle se traduirait pour la SPEDIDAM par une baisse de plus de 30 % du budget annuel consacré à l’action artistique, soit une perte de 10 millions d’euros en moyenne par an ! Cela représente globalement près de 40 millions d’euros d’aides annuelles en moins pour les OGC des droits voisins, SPEDIDAM/ADAMI pour les artistes-interprètes, SPPF/SCCP pour les producteurs. Dans le contexte de crise sanitaire qui continue d’affecter dramatiquement le secteur culturel, ces ressources sont vitales pour les artistes-interprètes et pour notre secteur d’activité. Lorsque la décision de la CJUE est tombée, il restait 4 commissions d’agrément SPEDIDAM pour la fin d’année 2020 sur un budget devant être soudainement amputé de près de 8 millions. Notre conseil d’administration, réuni en urgence, a donc pris la décision de geler provisoirement les aides et commissions d’agrément.

Comment décririez-vous, dans ce contexte, votre état d’esprit à la Spedidam?  

Guillaume Damerval : Notre état d’esprit est de demeurer très volontaire, la spedidam reste plus que jamais « l’alliée d’une vie d’artiste ». Notre slogan prend tout son sens dans les moments que nous traversons. Nous sommes actifs tant sur le plan national que sur le plan international pour défendre les droits des artistes-interprètes. Or, depuis la loi du 3 juillet 1985, les artistes-interprètes n’ont pas obtenu de droits sur de nouvelles utilisations comme Internet. Il est important de remédier à cette situation et nous attendons du gouvernement que cette situation change enfin. La spedidam est signataire d’une lettre ouverte adressée au Président de la République française : « L’appel des artistes en péril : sociétés civiles fragilisées, artistes menacés ».

Nous invitons tous ceux qui nous lisent à en faire de même à et partager cet appel : http://chng.it/y7MgKm5rmG

 

 

Propos recueillis par Jean-Luc Caradec

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