La Terrasse

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Entretien Yves Beaunesne

Entretien Yves Beaunesne - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2008

Maison de papier

Après Paul Claudel, John Ford, Witold Gombrowicz…, Yves Beaunesne poursuit son travail sur les auteurs du répertoire avec Henrik Ibsen. Il met en scène Le Canard sauvage en tentant d’extirper de ce drame sa part de légèreté.

Quel chemin vous a permis de surmonter la réputation de pessimisme absolu associée à l’œuvre d’Henrik Ibsen ?
Yves Beaunesne : Les événements qui composent cette pièce sont tellement affreux que l’on est presque obligé de l’aborder à travers une forme de légèreté. Si l’on est très attentif, on se rend d’ailleurs compte qu’Ibsen a parsemé des petits cailloux blancs tout au long de ce texte qui interroge les notions de vérité et de mensonge. J’ai donc saisi toutes ces opportunités de ne pas sombrer dans une noirceur absolue.
 
Quelles sont ces opportunités ?
Y. B. : Elles sont principalement portées par les figures féminines. D’abord, la jeune Hedvig, qui incarne une idée de la rédemption, une forme de pureté, un appétit de la vie propre à son âge – elle a 14 ans -, mais aussi une forme d’innocence qui la relie encore au monde de l’enfance. Elle distille de la légèreté partout où elle passe. Et puis, il y a sa mère, Gina, qui vient d’un milieu non seulement modeste mais acculturé. Ibsen met dans sa bouche des impropriétés langagières. Car, pour se mettre au niveau de sa nouvelle famille, issue d’une bourgeoisie déchue, elle emprunte à droite et à gauche, ce qui engendre des effets souvent cocasses.
 
« En abordant Ibsen, je me confie à quelqu’un qui pourrait dissiper une part de ma propre douleur. »
 
Gina est ainsi souvent à contre-courant des autres personnages. Cette marginalité me semble essentielle. Ibsen a construit un univers à la fois étriqué et labyrinthique. On a l’impression d’évoluer à l’intérieur d’une maison de papier sur laquelle plane toujours, où que l’on se trouve, la présence de ces deux figures atypiques.
 
Les pièces que vous mettez en scène font souvent apparaître une jeune fille au destin tragique. Pouvez-vous établir un lien entre toutes ces héroïnes ?
Y. B. : Je crois qu’ellesportent toutes le poids de l’agneau égorgé qui, en versant son sang, révèle combien les conduites du monde sont assassines. Le sens de ce qui leur arrive échappe souvent à ces figures de théâtre. J’ai l’impression qu’elles se tiennent toutes derrière moi, qu’elles me tirent par la manche pour que je leur prodigue des lumières. D’une certaine façon, je me retrouve moi-même dans ces êtres inconsolés. En abordant Ibsen, je me confie à quelqu’un qui pourrait dissiper une part de ma propre douleur, de mes propres ténèbres. Si le théâtre a une mission, au-delà de sa gratuité fondamentale, c’est peut-être de nous aider à échapper à ce qui nous freine, de rassembler l’homme – artiste ou spectateur – afin qu’il redevienne un être complet.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


Le Canard sauvage, d’Henrik Ibsen ; mise en scène de Yves Beaunesne. Du 19 mars au 5 avril.

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