La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -224-Centre dramatique régional de Tours

Entretien / Caroline Guiela Nguyen

Entretien / Caroline Guiela Nguyen - Critique sortie Théâtre Tours Centre dramatique régional de Tours Théâtre Olympia
Crédit : Jean Louis Fernandez Légende : La metteure en scène Caroline Guiela Nguyen.

Elle Brûle / de Mariette Navarro et Le Chagrin / création collective

Publié le 27 septembre 2014 - N° 224

Dire le réel par la fiction

Artiste associée au CDR de Tours, Caroline Guiela Nguyen présente Elle Brûle de Mariette Navarro et Le Chagrin, une création collective de sa compagnie Les Hommes Approximatifs. Deux spectacles fondés sur des improvisations qui abordent respectivement les thèmes de l’amour, de l’endettement, du mensonge, de l’aveuglement pour l’un et des rapports familiaux, du deuil, de la maladie pour l’autre. 

Que représente, pour vous, l’association à un théâtre tel que le CDR de Tours ?

Caroline Guiela Nguyen : Le travail de notre compagnie implique un temps de recherche que l’on pourrait appeler enquête. Par exemple, pour Elle Brûle, notre façon « d’inventer des faits » a été d’interviewer plusieurs personnes d’un village sur Emma Bovary, qui a inspiré le personnage de notre pièce qui s’appelle Emma. Cet être de fiction entrait alors dans la vie de ces gens. La fiction nous permettait de rencontrer le réel et le réel nous renvoyait à la fiction. L’un et l’autre sont intimement liés dans notre démarche. Mon association au CDR de Tours est, pour moi, une occasion de regarder cette ville comme « une muse ».

Vous travaillez souvent à partir d’improvisations. Qu’apporte à votre théâtre cette façon de créer ?

C. G. Ng. : Travailler en improvisations vient chambouler les répétitions. Car nous ne pouvons pas nous centrer sur un texte. Nous sommes face à ce qui nous paraît être un vide. Du créateur lumières aux comédiens, en passant par la metteure en scène, nous sommes tous impliqués dans la question de l’écriture, puisque nous avons tous un outil qui participe au langage du plateau. Nous sommes tous touchés par la même question : comment allons-nous écrire ? C’est dans cette mise en commun des enjeux de la création, dans cette responsabilité commune, que nous travaillons.

Qu’est-ce que cela implique du point de vue de votre regard ?

C. G. Ng. : Arriver le premier jour des répétitions sans avoir de texte entre les mains – comme ça a été le cas pour Le Chagrin – m’oblige à lever la tête et à regarder ce qui existe vraiment. Des personnes, un espace, un ciel bleu ou gris. Et c’est déjà tant d’informations, tant d’histoires en attentes… Cela me demande de savoir regarder sans avoir peur à la fois de ce plein et de ce vide. Cela ne veut pas dire que le plateau gouverne en maître sur nos imaginaires, mais que nous nous refusons à contourner le vivant. Le Chagrin prend place dans une maison d’enfance où, à la mort du père, un frère et une  soeur se confrontent à une histoire passée  méconnue.

« L’improvisation demande un courage énorme. »

Vous évoquiez la peur. Quelle place prend-elle lors du travail d’improvisation ?

C. G. Ng. : J’ai donné un stage à l’école de la Comédie de Saint-Etienne avec un groupe d’élèves passionnants. J’étais attentive à leurs premières improvisations. Ils avaient peur. L’un d’eux m’a même demandé s’il devait parler. Comme si leur parole, leur présence, n’avait pas de valeur. Comme si la seule possibilité de justifier le fait d’être là, devant nous, était d’avoir Shakespeare à ses cotés. L’improvisation demande un courage énorme. Le comédien se jette dans ce qu’il pense être le vide et pourtant, avant même qu’il ne parle, quelque chose est déjà arrivé. C’est cela qu’il faut regarder et rendre. Cette peur existe à l’intérieur de chaque groupe de travail que j’ai pu rencontrer. Comme s’il fallait décomplexer le plateau. On dit bien qu’il faut décomplexer les spectateurs… Peut-être qu’il y a un travail à faire sur nous aussi. Peut être qu’il faut affirmer qu’il n’y a pas de petite ou de grande histoire, mais qu’il y a de l’humain et tout son paysage. Il faut réconcilier quelque chose.

Vous déclarez être très influencée par le cinéma. Pouvez-vous revenir sur la nature de cette influence ?

C. G. Ng. : Les frères Dardenne se demandent s’ils arriveront à « filmer la vie ». Mon obsession se situe au même endroit, sans jamais oublier que c’est grâce aux outils du théâtre que je pourrai y répondre. Je ne peux pas mieux dire que cela : le bruit cacophonique d’un repas de famille, à Sète, et les accents qui s’entrecroisent (pour faire référence à La Graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche), toute ces choses ponctionnées dans le monde sont les seules choses qui arrivent à me saisir. J’ai grandi dans un foyer ou l’on parlait français et vietnamien en permanence. Je me pose souvent la question de savoir pourquoi ces repas-là sont mis en scène au cinéma et pas au théâtre…

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Elle Brûle, Le Chagrin
du mardi 4 novembre 2014 au vendredi 24 avril 2015
Centre dramatique régional de Tours Théâtre Olympia
7 Rue de Luce, 37000 Tours, France

Elle Brûle, les 4, 5 et 7 novembre 2014 à 20h, le 6 novembre à 19h. Le Chagrin, les 21, 22 et 24 avril 2015 à 20h, le 23 avril à 19h.

Centre dramatique régional de Tours, Théâtre Olympia, 7, rue de Lucé, 37000 Tours. Tél. : 02 47 64 50 50. Site : www.cdrtours.fr

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