La Terrasse

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Entretien Abou Lagraa

Entretien Abou Lagraa - Critique sortie Danse

Publié le 10 octobre 2008

L’ivresse du mouvement

Chez Abou Lagraa, le mouvement exulte, croisant tout en fluidité gestuelle contemporaine, influence hip hop et rigueur de l’écriture chorégraphique. Pour D’eux sens, il a pioché dans les Quatrains d’Omar Khayyam, poète, philosophe et savant perse du 12ème siècle. Avec Nawal Lagraa, sa compagne de scène et de vie, il signe un duo amoureux de haute tension.

En quoi la pensée d’Omar Khayyam vous touche-t-elle ?
Je me sens proche de sa poésie, qui touche à l’essentiel de l’expérience humaine, qui mêle sagesse et épicurisme, lucidité et scepticisme. Penseur soufi, il célèbre la liberté, la jeunesse, la beauté des femmes, aussi précieuses qu’un bijou. Il évoque la mort comme un nouveau commencement, dénouant les peurs de la vieillesse, chante le vin comme un enivrement mystique. Proscrit par le Coran parce qu’il pousse à l’excès et la violence, le vin devient sous sa plume un sublime nectar qui réjouit l’âme et l’entraîne vers l’au-delà, un précieux viatique qui permet d’atteindre le spirituel, « l’ivresse de Dieu » selon ses mots. Omar Khayyam a aussi écrit de magnifiques pages sur l’amour. Il y parle de respect de l’autre, d’acceptation de sa solitude, d’indépendance mutuelle, de partage… Sa pensée dément les caricatures intégristes qui défigurent de la religion musulmane. Ce qui m’importe aussi en tant que musulman croyant, même si non pratiquant.
 
Comment cette poésie a-t-elle influé sur la gestuelle et la composition chorégraphique ?
L’enivrement renvoie à la spirale, à l’envol, à une énergie qui peut se tendre jusqu’à la transe. Sur le plateau, deux musiciens soufis interprètent les Quatrains, rythmés par la musique d’Eric Aldea. Avec Nawal Lagraa, nous explorons cette poésie « du dedans », parfois les yeux fermés, en laissant la mélodie des mots et le sens infuser nos chairs, pour trouver le geste juste qui résonnera en nous deux. Nous cherchons une qualité gestuelle fluide, sensuelle, des mouvements spiralés entre ciel et terre. La danse passe par l’organique plus que par l’intellect.
 
« D’eux sens évoque l’éphémère, l’insaisissable du désir et du plaisir de la vie. »
 
Vous parlez également de la fuite du temps…
Elle est symbolisée par de l’eau qui coule sur le plateau et se propage dans les corps par un « lâcher-prise ». D’eux sens évoque l’éphémère, l’insaisissable du désir et du plaisir de la vie.
 
Vous dansez en duo avec Nawal Lagraa, votre épouse. Comment se déroule la collaboration ?
Travailler en couple, évoquer sur scène l’amour de l’autre, jusqu’à la perte de soi, n’a rien d’évident ! Nous traversons des phases d’exaltation et des moments de désaccord. Le travail exige beaucoup d’écoute. Quand l’amour lie deux êtres, les corps parlent. Nous essayons d’écouter ces murmures. Cette expérience de création nous apprend vraiment à nous connaître, l’un et l’autre comme nous-mêmes.
 
Entretien réalisé par Gwénola David


D’eux sens, chorégraphie d’Abou Lagraa (création à la Biennale de la danse de Lyon), du 6 au 9 novembre.

A propos de l'événement



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