Alcione
Jordi Savall exhume le chef-d’œuvre lyrique [...]
Francesca Lattuada, avec le Ballet royal de la nuit, et Louise Moaty, avec Alcione, mettent en scène le mouvement et la fusion des arts.
Francesca Lattuada : « Une sensualité du vide »
« Le mot « baroque » est un fourre-tout, un surcroît de tout qui prend souvent un sens plutôt négatif. Le poète Giuseppe Ungaretti le définissait comme un besoin de remplir pour se donner l’illusion que la mort n’existe pas. Mais ça peut être exactement l’inverse : dans le Ballet royal de la nuit, il y a ce que j’appellerais une sensualité du vide. Le baroque, au sens littéral, c’est ce qui est irrégulier. Or, il y a ici ce frottement entre le plein et le vide, le grotesque et le lyrique. On trouve dans le Ballet royal de la nuit des monstres, des sirènes, des déesses ; c’est un peu une arche de Noé qui réunirait l’utopie de tout le vivant.
Travail patient de décantation
La nuit, c’est le lieu de tous les possibles, le théâtre de toutes les trahisons et de toutes les révélations. Pendant toute la période de préparation du spectacle, je me suis replongée dans les textes sublimes de Novalis, des grands mystiques, non pas pour y trouver des idées car ce serait une manière de coloniser l’œuvre, mais plutôt des suggestions, des intuitions. Mon travail est celui d’un visionnaire : je laisse la musique m’absorber, infuser puis je laisse diffuser. L’alchimie est un peu la même que chez un cuisinier qui aurait l’intuition de mélanger deux épices. C’est un travail patient de décantation avant que les choses se mettent à dialoguer naturellement toutes seules. C’est la musique, quand je l’ai entendue jouée par Sébastien Daucé, qui m’a conduite aux circassiens : cette musique, c’est l’élan, la fougue, le déferlement… Il fallait des interprètes qui n’aient pas le vertige, qui n’aient pas peur du vide. »
Louise Moaty : « Transmettre l’esprit baroque »
« Au fil des spectacles, je me suis beaucoup intéressée au dialogue entre théâtre, musique et arts visuels. Explorer ce croisement des arts avec liberté, chercher une fusion entre les différentes formes d’expression qui peuvent exister sur le plateau, c’est aussi ce qui m’a guidé pour Alcione. Et cela a commencé comme toujours par une recherche d’images et de textes qui nourrissent le travail des concepteurs et des interprètes, de façon à les faire résonner en profondeur. Alcione est un opéra, donc pose comme a priori une symbiose entre texte et musique, que je cherche à approfondir dans la mise en scène : dans ma direction d’acteur par exemple, je m’appuie autant sur le texte du livret que sur la partition, en réfléchissant à ce que nous suggèrent tel rythme, telle harmonie pour la compréhension du personnage.
Un dialogue en profondeur entre les arts
Le cirque m’a paru être le meilleur angle d’approche pour les parties chorégraphiques, mais j’ai cherché à dépasser ce cadre en lui donnant une vraie place dans le spectacle : favoriser les échanges entre chanteurs et circassiens, articuler la scénographie autour des agrès, en référence au langage des marins qui est celui du théâtre à l’italienne, de façon encore une fois à chercher un dialogue en profondeur. J’ai un attachement fort à ce répertoire, et c’était intéressant de se poser ici la question : que pouvons-nous transmettre de l’esprit baroque aux spectateurs, à travers un langage contemporain ? »
Propos recueillis par Jean-Guillaume Lebrun
Tél. 02 31 30 48 00.
Site : www.theatre.caen.fr