Toutes deux partagent une vision ouverte et audacieuse de la création contemporaine. Les directrices du Théâtre et du CAC Brétigny reviennent sur les modalités des liens qu’elles établissent pour donner corps à leur goût commun du risque et de l’aventure artistique.
Quelles sont les identités respectives du Théâtre et du CAC Brétigny ?
Sophie Mugnier : Le Théâtre Brétigny est une scène conventionnée d’intérêt national labellisée art & création et baptisée du sous-titre arts & humanités. Ce lieu pluridisciplinaire, qui s’attache à défendre la diversité des expressions, considère le territoire comme un acteur à part entière de son projet, projet qui vise à remettre de la complexité dans nos vies, à construire de nouveaux récits dans un lien fort avec les habitants, les territoires et le quotidien. Nos deux structures partagent un même bâtiment qui a été construit dans un no man’s land urbain, il y a plus de 30 ans, sur les cendres d’un supermarché. Très vite, nos deux maisons se sont affirmées à l’endroit de l’expérimentation et de la création contemporaine, entre ville et campagne, à la lisière de l’Ile-de-France.
Céline Poulin : Quant au CAC Brétigny, il s’agit d’un centre d’art d’intérêt national qui a pour objet de montrer la création contemporaine dans son éclectisme. Comme le Théâtre Brétigny, c’est un établissement culturel de Cœur d’Essonne Agglomération. Son projet, qui est pensé pour et avec les territoires, donne lieu à des créations partagées avec les habitantes et habitants. Tous les aspects de notre activité étant d’ordre artistique — de la communication à la production, en passant par la médiation — nous fonctionnons de manière collective. Notre programmation, qui est bien sûr guidée par ces idées de collectif et de co-création, a également pour ambition de défendre la notion de polyphonie. Pour ce faire, nous invitons des actrices et des acteurs extérieurs à prendre possession de nos espaces d’exposition.
« Nous faisons le pari de la puissance de feu des œuvres et des imaginaires. »
Il y a donc une unité de destin et de projet entre vos deux institutions…
S.M. : Indéniablement. Et la manière dont Céline et moi tricotons des histoires avec les gens, la manière que l’on a de placer la relation avec les habitants au cœur de nos projets marque une nouvelle étape dans cette proximité. Cela, en se méfiant profondément, je crois, du marketing de la participation. Nous faisons le pari de la puissance de feu des œuvres et des imaginaires. Nous sommes toutes deux partisanes de conversations joyeuses qui nous amènent à élaborer des créations communes.
Comment avez-vous été amenées à instaurer de tels dialogues ?
S.M. : Les choses se sont mises en place assez naturellement, lorsque Céline est arrivée à la direction du CAC, en 2016 (ndlr, Sophie Mugnier dirige le Théâtre Brétigny depuis 2014). Nous avons l’une et l’autre des convictions communes, notamment dans la manière de penser la création. Nous ne nous obligeons à rien et nous nous permettons tout. Finalement, les projets qui nous unissent sont toujours comme des hasards heureux. Nous savons à l’avance que nous allons faire des choses ensemble, mais nous ne savons jamais vraiment quoi.
C.P. : Cette façon de travailler avec l’autre — que ce soit l’autre en tant qu’institution ou l’autre en tant qu’habitante ou habitant – implique d’accepter une forme d’ouverture et de liberté. Car si chacun ou chacune a une idée préconçue, une idée fermée de ce qui doit se passer, il y a peu de chance que les choses aillent loin. Comme le dit Sophie, ce qui est au centre des projets que nous réalisons ensemble, qui sont souvent des projets menés au sein des territoires, c’est que l’on ne sait pas exactement où l’on va. Et puis, au final, nos échanges aboutissent à une exposition, une pièce de danse, un atelier, un moment de création… Notre façon de travailler ensemble nécessite, dès le départ, de poser le cadre de l’ouverture, mais aussi d’un échec possible. Car il faut toujours avoir à l’esprit qu’un projet peut échouer. Si l’on est sûr que ce que l’on va faire sera une réussite, c’est qu’il n’y a pas d’inattendu, c’est qu’il n’y a pas de rencontre. Or, l’une des choses qui nous relie, Sophie et moi, c’est que nous faisons toujours le pari du processus, le pari de la rencontre humaine et artistique.
Comment le regard que l’on porte sur ces œuvres hybrides, ces œuvres qui impliquent les territoires, évolue-t-il ?
S.M. : J’ai l’impression qu’il change. Ce qui est très beau à observer, c’est que ces démarches fragiles, ces œuvres lisières, comme je les appelle, transforment à la fois les créateurs et les habitants. Nous essayons d’investir ces possibilités de créations avec des moyens de production significatifs et en sollicitant des artistes qui excellent dans leur champ.
C.P. : Aujourd’hui, beaucoup de jeunes artistes ne font pas la différence entre le moment où ils ou elles exposent un tableau et le moment où ils ou elles font un workshop dans une école. Il y a une continuité entre ces pratiques-là. Il n’y a encore pas si longtemps, ces deux mondes ne se parlaient pratiquement pas.
Manuel Piolat Soleymat
