La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -306-L'orchestre national d'Île-de-France, un engagement qui enrichit l’écoute partout et pour tous

Cultiver le plaisir de la découverte, rencontre avec Case Scaglione

Cultiver le plaisir de la découverte, rencontre avec Case Scaglione - Critique sortie
Case Scaglione, directeur musical de l'Orchestre national d'Île-de-France C : Christophe Urbain

ENTRETIEN

Publié le 18 décembre 2022 - N° 306

Directeur musical et chef principal de l’Orchestre national d’Île-de-France depuis 2019, Case Scaglione vient d’être renouvelé à la tête de la formation francilienne jusqu’en 2026. Il résume ici les grandes lignes d’une programmation engagée dans la diffusion de la musique classique, jusque dans des zones en marge des circuits culturels habituels. Il revient également sur les trois concerts qu’il dirige pendant la seconde partie de la saison 2022-2023.

Comment construisez-vous votre saison ?

Case Scaglione : On pense d’abord aux grandes œuvres et aux artistes que l’on veut programmer, et plus particulièrement à ceux qui sont en résidence, comme Simone Lamsma, pour pouvoir construire quelque chose d’équilibré et stimulant. Il me semble par ailleurs essentiel de mettre en avant la diversité du répertoire contemporain et de défendre la musique de ceux qui pourraient être les Mozart et les Beethoven d’aujourd’hui.

Quelle est l’importance du travail de médiation pour aller à la rencontre du public ?

C.S. : L’engagement pour l’accessibilité et l’ouverture de la musique classique à une audience large est au cœur de la mission de l’Orchestre national d’Île-de-France. Au sein de notre programmation, on s’attache à faire découvrir ce que notre public n’a pas encore entendu et qui pourrait le toucher, en particulier les pièces nouvelles. Il faut aussi créer un lien avec nos spectateurs. Au début du concert, j’essaie de dire quelques mots sur ce que l’on va jouer pour lever certaines barrières par rapport à un inconnu qui pourrait intimider, mais également pour suggérer des affinités entre les œuvres, comme une invitation à un voyage.

Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre à l’affiche le Concerto pour violon de Britten  ?

C.S. : C’est une œuvre du vingtième siècle exigeante pour l’orchestre, mais accessible pour l’auditeur. Comme Simone Lamsma en est l’une des plus grands interprètes aujourd’hui, sa résidence artistique chez nous était une opportunité idéale. Britten fait partie de ces compositeurs, comme Mozart, qui s’apparient à merveille avec tout le répertoire. Nous le mettrons en regard avec la Pastorale de Beethoven, et en introduction, Midnight hour, une commande que notre orchestre a passée à la jeune compositrice anglaise Anna Clyne, qui avait été créée par Enrique Mazzola en 2015, et présente des analogies avec Britten.

« Nous invitons le public à un voyage qui dépasse notre présent et nous relie à l’éternité. »

Dans Terres de Finlande, qui met un coup de projecteur sur l’un de vos répertoires de prédilection, vous mettez en avant un autre concerto pour violon «moderne». Pourquoi avez-vous choisi Esa-Pekka Salonen ?

C.S. : Lors de sa découverte à New York il y a une dizaine d’années, ce concerto m’a étonné et fasciné. Pour moi, Salonen est un excellent ambassadeur des voix finlandaises de notre temps. Je vois une continuité entre Sibelius et Salonen dans le travail sur la sonorité et les couleurs de l’orchestre. Si l’écriture est un peu plus variée et complexe chez Salonen, l’un comme l’autre s’appuient sur les timbres orchestraux pour créer une atmosphère évocatrice de la nature finlandaise. Il y a d’ailleurs des parentés dans l’écriture : comme Sibelius, Salonen n’utilise pas le tuba, et si, sur ce point, la Symphonie n°1, que nous donnerons lors de ce concert, fait exception, les deux pages sont construites comme des paysages en quatre tableaux. L’ensemble de l’œuvre de Sibelius révèle une grande cohérence : dans ce premier opus symphonique, on y reconnaît déjà sa signature. Après les Symphonies n°2, n°5, n°7, et le Concerto pour violon, nous poursuivons ainsi le cycle Sibelius que j’ai initié lors de mon arrivée à l’Orchestre national d’Île-de-France. Notre coup de projecteur sur les compositeurs finlandais ne sera pas monochrome pour autant : en ouverture, Feria de Magnus Linberg résonnera comme une célébration quasi méridionale de la sensualité de l’orchestre que je rapprocherais de Tchaïkovski.

Pour la Symphonie n°5 de Mahler en mai, vous avez demandé à Delphine de Vigan d’écrire un texte. Comment est née cette idée d’une forme hybride ?

C.S. : Mahler est désormais l’un des compositeurs les plus joués aujourd’hui, mais sa musique a aussi une histoire, que nous avons voulu faire redécouvrir afin de donner l’opportunité d’approfondir la connaissance d’une œuvre, qui, avec une durée d’une heure dix, serait au demeurant un peu courte pour faire à elle seule un programme entier. Delphine de Vigan va lire un texte dans lequel elle décrit les émotions que la symphonie de Mahler fait naître en elle. Ce projet, qui a beaucoup séduit l’écrivaine et donne plus d’ampleur au concert, illustre nos expériences de lien avec le public et la flexibilité de l’Orchestre national d’Île-de-France.

Cette flexibilité semble être l’un des marqueurs de votre approche. Comment se traduit-elle dans votre travail avec un orchestre itinérant comme l’Orchestre national d’Île-de-France ?

C.S. : Passer régulièrement d’une salle à l’autre constitue un challenge. Chaque concert devient une expérience nouvelle, un peu comme à l’opéra où les conditions d’interprétation ne sont jamais les mêmes d’un soir à l’autre. Comme dans la majorité des cas, nous n’avons pas de raccord avant le concert, on doit à chaque fois s’adapter en temps réel à une nouvelle acoustique, avec des balances entre les pupitres qui ne sont jamais les mêmes. C’est un défi de garder à chaque fois la même concentration, mais cela permet aussi de renouveler notre interprétation des œuvres, de les faire vivre avec des couleurs différentes.

Quel bilan faites-vous de vos trois premières saisons à l’Orchestre national d’Île-de-France ?

C.S. : La mission d’un orchestre comme le nôtre est de diffuser la culture jusque dans les endroits les plus reculés de la région francilienne, et de faire en sorte que l’on puisse y entendre la même qualité musicale qu’à Paris. Pour transmettre cette excellence et cette passion à chaque concert, je m’appuie sur la générosité d’un orchestre jeune et dynamique, dont les effectifs se sont largement renouvelés ces cinq dernières années, et qui constitue un soutien inspirant pour mon travail. Nous avons enrichi le répertoire pour présenter des œuvres rarement jouées et collaboré avec des compositeurs d’aujourd’hui pour offrir des expériences nouvelles à notre public.

Plus généralement, comment votre mandat à la tête de l’Orchestre national d’Île-de-France éclaire-t-il votre regard sur le rôle d’un chef et d’un directeur musical ?

C.S. : Quand un chef prend la direction d’un orchestre, l’essentiel est de développer une histoire ensemble, de participer au façonnement d’un son et d’une culture. Face aux musiciens, un chef ne doit pas s’attarder sur des questions techniques, mais plutôt chercher comment faire parler les œuvres, la diversité des héritages culturels, les similitudes qui peuvent relier des compositeurs et des époques. Nous nous inscrivons dans un dialogue avec des générations qui nous ont précédés. Nous invitons le public à un voyage qui dépasse notre présent et nous relie à l’éternité. C’est de cette manière que la musique peut réussir à communiquer ce quelque chose de plus profond qui est au cœur de l’expérience artistique.

 

Propos recueillis par Gilles Charlassier

A propos de l'événement



Site de l'Orchestre national d'Île-de-France : https://www.orchestre-ile.com/

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