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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -202-Théâtre du Nord

Création et transmission

Création et transmission - Critique sortie Théâtre Lille Théâtre du Nord
Crédit photo : Frédéric Iovino

ENTRETIEN STUART SEIDE
Fractures, de Linda McLean, et Au bois lacté, de Dylan Thomas / mes de Stuart Seide

Publié le 1 octobre 2012 - N° 202

Le directeur du Théâtre du Nord et de l’EpsAd continue son chemin d’artiste et de pédagogue à la tête de ce pôle de création et de transmission dynamique et fécond.

« Transmettre veut dire comprendre qu’il y a l’autre en face de soi. »

Pourquoi avoir choisi Fractures, de Linda McLean, pour votre prochaine création ?

Stuart Seide : Je sortais de Schiller ; je savais que j’allais travailler Brecht avec les élèves de l’EpsAd… J’aime beaucoup le travail avec une grande équipe, le phénomène de troupe, mais je sentais aussi, comme toujours, le besoin d’aller-retour entre le proche et le lointain, l’épique et l’intime. J’ai découvert le texte de Linda McLean à l’occasion du partenariat mené avec Théâtre Ouvert. Parmi les pièces soumises au comité de lecture composé par les quinze élèves de la promotion en formation, il y avait Fractures. Quand j’ai lu cette pièce, j’ai su immédiatement que je voulais en faire ma prochaine création. C’est un théâtre de l’être, de la vie secrète, dense, profond et sensible, écrit dans une langue ciselée, précise, détaillée. Pouvons-nous nous libérer de notre passé, tourner une page ou commencer à écrire sur une page vierge ? Voilà ce que cherche May, la protagoniste. Cette pièce va exiger l’équilibre entre abandon et retenue : un travail de dentelle fait avec des lames de rasoir !

En même temps, vous reprenez Au bois lacté.

S. S. : Avec ce spectacle, nous sommes allés plus loin que je ne pouvais l’imaginer, et le succès public a été à la mesure de notre investissement artistique. C’est une œuvre qui m’émeut, me parle profondément, et dont la forme insolite évoque vingt-quatre heures d’un village gallois et la soixantaine de personnages qui l’habitent. On parle des « petits », des gens sans conséquence, des laissés pour compte. Il ne se passe rien et pourtant il se passe mille choses. On dort, on rêve, on chante, on boit, on danse, on se recouche ; la nuit descend et recouvre le village. C’est formidable de s’attarder avec ces soixante personnages, leurs aspirations, leur jalousie, leurs mesquineries : ils sont passionnants parce que tous les êtres humains, les petits comme les grands, peuvent l’être.

La troisième promotion de l’EpsAd a terminé sa formation en juin. Quel bilan ?

S. S. : Formation n’est pas le mot qui convient. La seule personne qui puisse former un acteur, c’est lui-même. Je peux les mettre devant les questions, leur présenter les réponses que j’ai trouvées ; je peux être un catalyseur, les mettre devant la matière où piocher. Mais il n’y a pas de méthode, de système qui marche. L’acteur doit trouver son chemin personnel. Ce qui marche pour l’un ne marche pas pour l’autre, voire serait contreproductif. Je ne forme personne, si ce n’est des acteurs créatifs, c’est-à-dire créateurs. Je ne cherche pas à promouvoir des acteurs exécutants. L’activité de l’acteur doit laisser voir tout ce que c’est qu’être humain. Comment l’aiguiser, l’affiner ? C’est une question de travail, d’intelligence et de passion. En ce sens, chaque acteur crée et transmet. Transmettre veut dire comprendre qu’il y a l’autre en face de soi.

Vous confiez cette troisième promotion à Stéphanie Loïk pour La Supplication.

S. S. : Ils ne sont plus mes élèves, ce sont de jeunes professionnels ! Je ne les confie à personne ! C’est Stéphanie qui les engage ! Elle avait fait un atelier avec ce groupe ; elle le reprend aujourd’hui. Alors qu’elle travaillait avec eux sur ce texte, qui parle de Tchernobyl, est arrivé l’accident de Fukushima. Jamais plus ça, dit Alexievitch, et voilà que ça arrive encore ! La Supplication, c’est l’aspect noir et troublant de notre présent hors maîtrise ; la démonstration qu’un rêve peut aussi être porteur de cauchemar.

Chaque promotion a-t-elle une personnalité particulière ?

S. S. : Après quelques mois, on sent que le groupe a une personnalité, avec ses défauts et ses qualités. On a affaire à quinze individus et à une autre personnalité qui est le groupe, seizième entité bien différente des autres. En trois ans, un artiste évolue. Tous ceux que nous recrutons savent jouer, être crédibles, justes, acceptables, mais, au début, ils ne savent pas travailler. Il ne suffit pas de savoir jouer, il faut aussi apprendre à trouver quand ça ne vient pas. Quelle démarche, quel processus pour y arriver ? Il ne s’agit pas d’attendre l’inspiration ou la grâce divine. Pendant trois ans, les élèves évoluent intellectuellement et physiquement. La sortie n’est pas une fin. Peut-être que les graines semées foisonneront plus tard. Mon but n’est pas un placement d’emploi. Je ne les forme pas pour satisfaire aux paramètres du métier. L’EpsAd est une école d’art, d’artistes. On les forme pour faire un théâtre qui n’existe pas encore. On les forme pour être prêts à l’aventure d’un théâtre qu’ils ne connaissent pas eux-mêmes.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Au bois lacté
du mercredi 26 septembre 2012 au jeudi 14 février 2013
Théâtre du Nord
4, place du Général de Gaulle, BP 32, 59026 Lille cedex

Au bois lacté, du 26 septembre au 12 octobre. Fractures, du 25 janvier au 14 février. La Supplication, du 19 au 25 octobre.
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