Focus -239-CENTRE NATIONAL DU THÉÂTRE
Bettencourt Boulevard ou une histoire de France
Entretien / Michel Vinaver
Publié le 24 décembre 2015 - N° 239C’est l’un de nos grands écrivains vivants. A 88 ans, Michel Vinaver « fait œuvre théâtrale » de l’affaire Bettencourt.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de consacrer une pièce à l’affaire Bettencourt ?
Michel Vinaver : Dès le départ, j’ai trouvé cette affaire passionnante. Il y a, au cœur de cette histoire, l’explosion tragique d’une famille. Il y a aussi des éléments légendaires : la fontaine d’argent qui crache de façon illimitée les millions d’euros, la mauvaise mère, la mauvaise fille… Tout cela était pour moi appétissant et en même temps effrayant, parce que c’était trop. C’était un massif inaccessible. La matière dramatique était immense.
Comment vous en êtes-vous emparé ?
M. V. : J’ai essayé de ne pas tout raconter pour laisser l’imagination flotter à l’intérieur de cette épopée. Je me suis dit qu’il fallait prendre ce qui venait au moment où cela venait, plutôt que d’essayer d’être complet. Une des choses qui m’a beaucoup stimulé dans mon écriture, c’est la relation intime du quotidien et de l’immense – l’immense sur le plan politique, économique et mythologique. Moi qui suis depuis toujours fasciné par le quotidien, là, j’étais servi. Parce que cette affaire m’a amené à entrer dans la vie de tous les jours de ces personnages : aussi bien les seigneurs que les manants.
« Je n’écris pas parce que je sais déjà, mais parce que je veux savoir. »
Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans le quotidien ?
M. V. : C’est un étonnement, qui ne m’a jamais quitté, au sujet de ce que sont les éléments les plus rudimentaires de la vie. Je suis un écrivain bipolaire. J’ai besoin d’être à la pointe du concret dans la parole et dans l’action de la parole. Et à l’autre pôle, j’ai besoin d’aboutir à une forme qui ait sa propre justification, en tant que telle, qui s’impose avec l’évidence d’un tableau de Cézanne ou d’une cantate de Bach.
Qu’est-ce qui vous pousse à écrire ?
L : L’envie de découvrir. Je n’écris pas parce que je sais déjà, mais parce que je veux savoir. Je n’ai pas d’autre moyen pour arriver à cette connaissance que la poésie dramatique. C’est par l’écriture théâtrale que je peux prendre un matériau qui est déjà largement couvert par les journalistes pour lui donner une résonnance autre, plus large, plus profonde, et ainsi essayer de faire survenir dans la mémoire quelque chose de l’ordre de la permanence.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat