Aurélie Van den Daele crée une fable urbaine au long cours

En quoi cette nouvelle création s’inscrit-elle dans le projet que vous incarnez au Théâtre de L’Union, centre dramatique national que vous dirigez depuis septembre 2021 ?

Aurélie Van Den Daele : Le projet que j’ai conçu pour le Théâtre de L’Union propose d’entremêler écologie et altérité, de réfléchir à la façon dont le théâtre peut être une ressource, un foyer dans lequel on retrouve le sens d’être ensemble et de raconter des histoires, au sein d’un monde que l’on considère souvent en bout de course. Au fil du temps, ce projet s’est recentré sur le territoire, en explorant la question de la représentation des minorités, en veillant à prendre en considération toutes celles et tous ceux qui composent le monde. Certaines personnes sont privées de parole. Il m’importe de rendre audible ce que ces êtres ont à dire en construisant des contre-récits. C’est ce que fait 1200 Tours.

Qu’est-ce qui, avant tout, vous inspire dans l’écriture de Sidney Ali Mehelleb ?

A.V.D.D. : D’abord, le fait que ses textes empruntent tous des formes très différentes les unes des autres. Pour moi qui aime les défis de mise en scène, c’est quelque chose de très intéressant. Et puis, Sidney est à la fois auteur et comédien. C’est une richesse qui lui permet de créer de véritables partitions d’acteurs, d’imaginer des œuvres faites pour être incarnées sur un plateau, des œuvres qui donnent vie à de la matière théâtrale.

« 1200 Tours porte les paroles de personnes qui, habituellement, ne sont pas représentées sur scène. »

Quels sont les contre-récits qui composent 1200 Tours ?

A.V.D.D. : Les récits que l’on entend le plus ne sont pas toujours représentatifs de ce qui se passe vraiment autour de nous. Par exemple, avant 1200 Tours, je ne m’étais jamais intéressée à la question du journalisme. Or, c’est un sujet essentiel. La presse est-elle encore un pilier de la démocratie ? Quel rôle les journalistes jouent-ils dans notre société ? Réfléchir à ces questions est déjà, il me semble, une façon de produire un contre-récit. Sidney et moi venons d’univers très différents. Ensemble, nous faisons alliance pour créer des fictions qui vont plus loin que de simples discours d’opposition. 1200 Tours porte les paroles de personnes qui, habituellement, ne sont pas représentées sur scène, tout en éclairant les raisons pour lesquelles elles ne le sont pas. Finalement, le premier contre-récit de 1200 Tours est la composition de sa distribution. Comme les personnages, les douze comédiennes et comédiens du spectacle ont des origines et des parcours de vie extrêmement différents.

1200 Tours s’organise autour de plusieurs personnages féminins. Est-ce pour vous l’une des caractéristiques importantes de la pièce ?

A.V.D.D. : Oui, bien-sûr. Pour autant, ce qui m’intéresse encore davantage dans 1200 Tours, c’est la question de l’amitié entre les femmes, ce qu’on appelle la sororité. Il s’agit d’ailleurs, là aussi, d’un contre-récit. Car l’amour sexué est davantage mis en avant comme valeur constituante de l’existence. Or, pour moi, l’amitié est une chose tout aussi essentielle.

Quels sont les grands enjeux de votre travail de mise en scène ?

A.V.D.D. : Ils sont nombreux. D’abord, la pièce est très séquencée, ce qui pose de nombreuses problématiques théâtrales. 1200 Tours est une pièce-monde, qui nous plonge dans un paysage parisien des années 2020, univers au sein duquel cohabitent et se rencontrent des personnages très différents. Il m’a fallu veiller à ce que le fil narratif ne s’émiette pas, ce qui demande beaucoup d’acuité et de virtuosité de la part des interprètes. Ce projet de théâtre a un côté très cinématographique. La question du groupe est très importante, ainsi que l’incarnation des actrices et des acteurs. J’ai essayé de ne jamais plaquer quoi que ce soit qui n’appartienne qu’à moi, ce qui implique une forme de déconstruction de l’imaginaire. À chaque instant, je me suis demandé pourquoi je faisais certains choix, s’il s’agissait d’archétypes qui appartenaient à des représentations que je n’arrivais pas à déconstruire, ou si ces décisions servaient le récit de Sidney.

Focus réalisé par Manuel Piolat Soleymat