Anne Bitran
©photo : Anne Bitran
photo : Anne Bitran
Publié le 10 février 2008
Capter l’insaisissable du souvenir
Anne Bitran, comédienne, marionnettiste et metteur en scène, cofondatrice de la Compagnie Les Rémouleurs (avec Olivier Vallet pour les créations visuelles), revient sur le processus de création de Machina Memorialis.
Pourquoi vous intéresser à la Machina memorialis ?
Anne Bitran : Les mécanismes de la mémoire et la matière du souvenir, insaisissable, indescriptible, me fascinent. Comment et pourquoi les souvenirs surgissent-ils ? Pourquoi ceux des autres nous touchent-ils ? Quelle est cette matière commune que nous y retrouvons ? Je désirais poursuivre l’exploration du phénomène de la réminiscence, amorcée dans Ginette Guirolle et dans Lubie, et partager ces interrogations avec les spectateurs.
« Restituer les altérations qu’opère le temps sur le réel par le truchement de la mémoire et de l’imaginaire »
De quelles manières mariez-vous le souvenir, par essence immatériel, et la manipulation d’objets, habituellement concrets ?
Anne Bitran : Nous manipulons des images. Nous avons travaillé à partir de trois films courts, tournés en super 8 par ma tante, à trois moments importants de mon enfance. Grâce à la numérisation, nous sommes entrés à l’intérieur de ces souvenirs intimes, pour les déconstruire et reconstruire une structure narrative, parfois figurative ou au contraire abstraite. Nous avons remodelé les températures de couleurs, généralement trop froides en vidéo, les contours de l’image, habituellement rigides, et les supports de projections, grâce à un système d’écrans flottants, de voiles transparents, d’un cyclope et de miroirs mous. Nous jouons ainsi sur le surgissement, la déformation, la métamorphose et la superposition des images.
Comment la collaboration avec Albert Marcoeur a-t-elle nourri l’écriture du spectacle ?
Anne Bitran : Ses chansons ont marqué mon adolescence. Cet artiste a toujours mené sa route, sans concession, développant une musique complexe, issue du rock mais traversée d’influences du classique et contemporain. Le sous-titre du spectacle, « se souvenir », vient d’ailleurs d’un de ses morceaux, qui décline le verbe à tous les temps. Comme Francis Ponge, il pioche souvent la matière de son œuvre parmi les choses insignifiantes du quotidien et observe leur inscription dans la mémoire corporelle et mentale.
Comment partager l’espace de la mémoire, forcément intime, avec le spectateur ?
Anne Bitran : Nous essayons de construire un moment commun sur scène, pour que chacun s’approprie les images, y imprime les résonances de son histoire personnelle, et ainsi trouve sa trace dans le spectacle. La poésie visuelle et sonore évoque la sensation du souvenir, si singulière, fugace et prégnante. Comme un trouble.
Entretien réalisé par Gwénola David