À l’écoute de la liberté du jazz, rencontre avec Michel Lefeivre et Jean-Marie Machado

Quelle importance revêt cette biennale par rapport à d’autres types de programmation ?

Michel Lefeivre : Initialement, notre ambition a été de mettre en place, au sein de la saison artistique du CDBM, une saison jazz permanente, aux rendez-vous multiples et variés, et de se dire qu’on créerait au bout de quelques années une vitrine afin de montrer ce que l’on fait. Compte tenu des forces en présence et des besoins, le rythme biannuel nous permet de ne pas casser la dynamique de la programmation annuelle. Ensuite, nous avons structuré cette biennale en fonction de nos trois axes habituels : les grands formats, l’émergence, et le jazz avec toutes les mutations qu’il connaît, selon ceux qui s’en emparent aujourd’hui.

Jean-Marie Machado, vous écrivez dans le programme que « les musiques de jazz se déclinent à l’infini ». Partant de ce constat, comment construire une programmation ?

Jean-Marie Machado : Lorsqu’on a décidé de travailler ensemble, j’ai annoncé à Michel que j’envisageais l’accompagnement de son lieu de la même manière que ma musique : elle est multiple, elle bouge, je ne suis pas sur ligne éditoriale étroite. Tout ce qui me paraît rentrer dans cette idée d’ouverture et de liberté peut trouver sa place dans notre programmation, même s’il faut qu’il y ait un lien avec la grande tradition du jazz et cette forme de liberté d’improvisation qui la caractérise. Les choses sont ouvertes… Nous avons voulu donner cela au public et nous avons eu la joie de le voir venir découvrir des choses qu’il ne savait pas exister. Naturellement, nous avons accueilli toutes les familles du jazz : celle qui s’ouvre plutôt vers le classique contemporain, celle qui reste dans la tradition mais qui la pousse.

« J’envisage l’accompagnement du lieu de la même manière que ma musique : elle est multiple, elle bouge. »

Jean-Marie Machado 

« Nous aimerions que d’autres lieux prennent en compte cette problématique de la jeune création à l’endroit du jazz. »

Michel Lefeivre

Parmi les temps forts de la Biennale, il en est un qui met l’accent sur l’émergence, en lien avec un dispositif qui a été créé par le CBDM.

M.L. : On a fait le constat du manque criant de lien entre tous ces jeunes artistes très talentueux qui sortent des pôles d’enseignement supérieurs et la profession. La dimension de la professionnalisation n’est quasiment pas prise en compte par les acteurs du métier. Plein de jeunes, parce qu’ils veulent jouer, acceptent tout et n’importe quoi, par nécessité. Souvent, quand il arrive qu’ils soient payés, ils ne le sont pas forcément sur les barèmes défendus par les syndicats d’employeurs et de salariés. Enfin, quand ils ont une résidence, c’est bien souvent gratuit. Il faut qu’ils se débrouillent, notamment pour louer du matériel, etc. Face à ce problème, nous avons mis en place un « programme accueil jazz émergent » (PAJE) avec, pour partenaires, ceux qui sont à l’origine des formations. La Région et le Département nous aident sur ce parcours. Il démarre par une résidence de 5 jours et l’accueil des artistes, qui sont payés, avec mise à disposition du lieu et avec des techniciens. Deuxièmement, nous nous engageons à les programmer devant un public, notamment lors de la Biennale, au cours d’une après-midi consacrée à l’émergence. Troisièmement, nous les aidons à entrer dans des programmes comme « Jazz Migration » ou le concours « Forte » de la région Île-de-France. Quatrièmement, nous avons des mesures d’accompagnement sur deux ans, sur le plan de la communication, la technique ou pour une sortie de disque. Nous aimerions que d’autres lieux puissent s’emparer de formules analogues et prennent en compte cette problématique de la jeune création à l’endroit du jazz, qui est sans doute la plus démunie en comparaison avec le théâtre, la danse ou la musique dite classique ou lyrique.

J.-M.M. : Précisons qu’il n’y a jamais de discussions artistiques avec ces jeunes. Nous les écoutons, nous leur ouvrons une porte, mais ce sont eux qui décident et qui font. On ne se mêle pas de l’artistique parce que je trouve que c’est l’endroit le plus fragile d’une vie et que les décisions qui sont prises à ce moment-là sont les vraies, même s’il y a des imperfections dans la façon de faire.

Michel, qu’est-ce que la présence d’un artiste associé comme Jean-Marie Machado apporte à un directeur d’établissement culturel comme vous ?

M.L. : Nous avons des équipes ou des compagnies en résidence en général sur trois ans, avec un projet, des créations, des diffusions, de l’action culturelle. J’avais souhaité — la musique étant prioritaire dans le projet que je développais — aller plus loin. Jean-Marie étant compositeur, il m’intéressait car la place des auteurs et des compositeurs dans les scènes conventionnées comme les nôtres est très réduite, voire inexistante. L’idée de le garder en artiste associé était de le faire travailler sur la programmation artistique. Cela apporte quelque chose de très fort parce que même si nous avons chacun nos fibres artistiques, ce n’est pas comparable à Jean-Marie, qui fait des concerts, suit des gens, travaille la musique tous les jours et compose.

Entretien réalisé par Vincent Bessières.