La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars

Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Hervé Bellamy Légende photo : Carole Thibaut aborde le plateau comme un espace mental

Publié le 10 avril 2008

L’auteur et metteuse en scène Carole Thibaut ausculte les nœuds douloureux de la filiation. Une pièce de haute tension !

Ça cogne, à petits coups secs, nerveux, rageurs presque : « La fille » talonne le parquet blanc, froid, immaculé, de son appartement comme pour y clouer son angoisse, y graver tous les cris qu’elle retient, bien ficelés sous la chape lisse des apparences. Cris toujours vifs, atrocement vifs. Dix ans pourtant qu’ils ne s’étaient pas vus, que le temps avait fait semblant de cautériser les violences d’enfance. Ce soir-là, « Le père », vieilli, malade et condamné, débarque chez elle. Il vient demander l’impossible : son aide pour mourir. A elle, la quarantaine sèchement hissée sur la réussite sociale, elle qui s’est caparaçonnée, dents serrées, poings fermés, contre les « justes corrections » infligées au nom tout puissant de l’éducation. Armée contre la vie et l’amour aussi. Il faudra que l’alcool dilue lentement l’acide de la haine, que meurtrissures saignent encore une fois, pour que la parole s’échappe enfin.

Ce passé qui ne passe pas
 
Sans cesse dans ce duel sans merci, le vieux père ruse et tente de ferrer sa fille – son « pareil », tout son « portrait craché » – en l’amadouant par la pitié, en l’encerclant dans l’archétype de la tendresse et de la douceur qui siéent aux femmes. Plus il avance, plus elle s’en défend, masque les failles, verrouille l’intimité de son existence, implacablement. Les phrases fusent, coupantes, tendues par des années d’attente, déchiquètent ce passé qui ne passe pas. Entre eux, Ric, son ami à elle, joue l’intercesseur malgré lui. Et malgré tout, les mots ne se rencontrent pas. Il espère sa compassion, elle attend sa demande de pardon. Chacun reste rivé à sa vision, lui calé dans les parangons d’une conception virile de la féminité et de l’autorité, elle fièrement harnachée au contre-modèle, libre et aride. Carole Thibaut, écrivaine engagée au TEP et metteuse en scène, ose s’attaquer à des sujets difficiles : l’enfance maltraitée, les nœuds douloureux de la filiation, l’euthanasie ou les relations de couple. Elle connaît ses classiques et serre les nœuds du tragique autour de la fille : les spectres de la malédiction familiale et du fatum rôdent, non plus dans le ciel, déserté par les Dieux, mais au tréfonds de la conscience, là où grouillent les forces qui agissent l’être et le dévorent. Elle se défait du réalisme et travaille le plateau – un vaste carré blanc incliné – comme un espace mental, où vient s’écrire ce jeu de forces. Dure, cassante, Catherine Anne (La fille) montre une rancune narquoise doublée à fleur de peau par la souffrance, qui peu à peu se lézarde pour laisser fuir le chagrin. Jean-Pol Dubois, père retors, louvoyant entre gémissements et perversion, sonne tout aussi juste. En dépit d’un dénouement trop explicatif, cette pièce de haute tension touche le cœur d’un tragique contemporain.
 
Gwénola David


Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars, texte et mise en scène de Carole Thibaut, du 7 au 25 avril 2008, à 20h30, sauf mardi, jeudi et samedi à 19h30, relâche dimanche, au Théâtre de l’Est parisien, 159 avenue Gambetta 75020. Rens. 01 43 64 80 80 et

Durée : 1h45.

A propos de l'événement


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