La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Eva Doumbia

Eva Doumbia - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 septembre 2007

Métissages ethniques et artistiques

Improvisation, théâtre, danse, musique, vidéo, exposé d’ethnopsychanalyse… Eva Doumbia conçoit et met en scène deux “spectacles-patchworks” explorant les thèmes de l’exil, de la quête identitaire et des relations interraciales.

Primitifs et Exils 4 sont-ils les deux parties d’un même diptyque ?
Eva Doumbia : Non, pas du tout. Au départ, seul Primitifs devait être joué à la Tempête. Et puis, Philippe Adrien a vu Exils 4 au Théâtre du Vieux-Colombier, à l’occasion d’ « Ecritures d’Afrique ». Suite à cela, il a également souhaité programmer ce spectacle. Mais Primitifs et Exils 4 ne sont évidemment pas deux projets totalement dissemblables. Ils parlent de choses qui se répondent et projettent sur scène des partis pris artistiques similaires.

En investissant tous les deux, par le biais de formes pluridisciplinaires, la confrontation des cultures et des origines ?
E. D. : C’est ça. Primitifs est un spectacle qui, à travers l’appropriation par Kouam Tawa de l’œuvre et de la vie du romancier afro-américain Chester Himes, questionne les relations amoureuses interraciales. Une partie de la représentation est écrite, une autre s’improvise chaque soir sur le plateau, les quatre comédiens mettant alors en miroir, par rapport à leur propre expérience d’hommes et de femmes de couleurs différentes, cette thématique des rapports et des désirs sexuels entre personnes noires et blanches. La parole circule entre eux, ce qui les mène à former une sorte de forum interpellant et interrogeant le public.

« On est tous, essentiellement, à la fois quelqu’un et quelqu’un d’autre. »

 

D’une certaine façon, Exils 4 interroge également les relations interraciales… 
E. D. : Oui, puisque ce spectacle — qui est la quatrième partie de la Tétralogie des migrants, un ensemble de petites formes traitant de la descendance, du métissage — pose la question de la quête des origines, une question qui s’impose de façon très concrète à toute personne issue d’une union mixte. Exils 4 parle de tout cela à travers le voyage à la fois réel et intérieur d’une jeune métisse qui souffre de ne pas savoir qui elle est, quelle est sa véritable terre, où se trouve vraiment sa place. Car il est très difficile de vivre sans connaître le passé d’une partie de sa famille. Tout enfant porte en lui comme un traumatisme l’exil de son père ou de sa mère, même si cet exil est tu. Cette jeune femme décide donc un jour de partir en Afrique, dans le village de son père, pour tenter de trouver son “chez soi”. Il s’agit d’un voyage composé de beaucoup de choses : de danse, de musique, de vidéo, d’interviews de filles et de fils d’immigrés, du texte écrit par Aristide Tarnagda, d’une mini-conférence de l’ethnopsychanalyste Marie-Rose Moro qui explique que l’identité n’est pas figée, qu’elle balance en permanence entre divers pôles…

Comment procédez-vous à la synthèse scénique de toutes ces disciplines ?
E. D. : En les traitant de façon égale et équilibrée. Je veille à ce qu’aucun élément n’écrase les autres. Tout se construit en même temps, grâce et à travers l’expérience des différents artistes qui participent au spectacle. Car ce n’est pas le texte ou le théâtre que je place au centre de la représentation, mais bien le questionnement, le propos. Il me semble, d’ailleurs, que c’est ce qui caractérise, avant même la transdisciplinarité, mon univers artistique : la primauté du propos, du sujet, et aussi la rencontre, l’envie de travailler avec d’autres créateurs. Il est très rare que je choisisse de mettre en scène une pièce déjà écrite. Je l’ai fait avec Maison d’arrêt d’Edward Bond. Mais il n’y a pas beaucoup d’Edward Bond… Ce qui m’intéresse, du point de vue de l’écriture, c’est la complexité des personnages. Or, chez Bond, les personnages sont très complexes, aussi complexes que dans la vie. Car, je crois que l’on est tous, essentiellement, à la fois quelqu’un et quelqu’un d’autre. En cela, je rejoins totalement la pensée de Marie-Rose Moro.


Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


Primitifs / about Chester Himes, de Kouam Tawa ; d’après Chester Himes et Howard Zinn ; conception et mise en scène d’Eva Doumbia. Du 18 septembre au 7 octobre 2007.

Exils 4, d’Aristide Tarnagda ; conception et mise en scène d’Eva Doumbia. Du 10 au 21 octobre 2007.

Représentations du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Réservations au 01 43 28 36 36.

A propos de l'événement


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