L’Amant de Harold Pinter, mis en scène de Margaret Clarac et Alexandre Cattez
Margaret Clarac et Alexandre Cattez [...]
Spectacle remarquable sur la Guerre d’Algérie, tentative d’en délivrer enfin des récits, Et le cœur fume encore déploie un théâtre aussi intelligent que joyeux.
Que la France ait un problème avec la mémoire de la Guerre d’Algérie ne fait pas débat. On dit souvent qu’une part du racisme anti-maghrébin qui traverse le pays et que certaines difficultés d’intégration des populations d’origine nord-africaine plongent leurs racines dans ce passé mal digéré. Le théâtre explore ce terrain avec des bonheurs différents. Des ratés parfois sur ce thème délicat. Et le sentiment ailleurs que le théâtre déploie de manière remarquable la complexité du sujet. Ici, c’est le cas. Et le cœur fume encore, spectacle phare du Off d’Avignon l’été dernier, est maintenant propulsé sur les planches d’un CDN. Il le mérite grandement. Chapeau aux instances programmatrices du TGP d’avoir donné sa chance à une « compagnie émergente », comme on dit dans le métier : à Margaux Eskenazi et Alice Carré de la Compagnie Nova, autrices et conceptrices de ce spectacle, et à la troupe de jeunes comédiens – Armelle Abibou, Loup Balthazar, Malek Lamraoui, Yannick Morzelle, Raphael Naasz, Christophe Ntakabanyura et Eva Rami – dont la diversité se mélange joyeusement au plateau, sans distinction de sexe ni d’origine, pour incarner femmes et hommes d’hier et d’aujourd’hui, d’une rive et de l’autre de la Méditerranée.
Au croisement des arts et de la politique
Et le cœur fume encore tient son titre d’une phrase de Kateb Yacine, célèbre écrivain algérien convoqué à plusieurs reprises dans le spectacle. Car ce retour sur la Guerre d’Algérie s’opère à travers le croisement des arts et de la politique. De la représentation d’une pièce de Yacine en 1958 à Bruxelles, on suit les premiers pas d’un membre du FLN. Du procès en 1961 de Jérôme Lindon, non moins célèbre fondateur des Éditions de Minuit, on revisite le débat sur la torture et la désobéissance soulevé par la publication du Déserteur. De La bataille d’Alger, film de l’Italien Pontecorvo, sorti en 1965 et quasiment interdit en France jusqu’en 2004, on retraverse la trahison des espoirs nés de l’indépendance. Ces détours par les arts ne constituent pas des coquetteries. Ils disent le rôle que peuvent jouer les artistes dans l’histoire de nos sociétés, celui que veut jouer cette pièce aujourd’hui. Et ils n’empêchent pas de passer par le football, Zidane et Thuram, la Marseillaise sifflée au Stade de France, pour penser toutes ces tensions qui agitent la France. En leur cœur, qui fume encore : le silence, les souffrances qui ne se disent pas, les points de vue qui ne dialoguent pas. Ce couvercle posé sur des paroles multiples, contradictoires, complémentaires, que toute la troupe est allée chercher dans un processus documentaire, qu’elle relaie sur le plateau en une succession de scènes de plus en plus jubilatoires, subtilement disposées, magnifiquement interprétées, qui réveillent l’espoir d’un avenir enfin réconcilié avec le passé.
Eric Demey
du lundi au samedi à 20h, le dimanche à 15h30, relâche le mardi. Tel : 01 48 13 70 00. Durée : 2h.
Spectacle vu au 11 Gilgamesh Belleville à Avignon.
Margaret Clarac et Alexandre Cattez [...]