Belgrade
Belgrade / d’Angélica Liddell / mes Julien Fišera
ENTRETIEN
Publié le 2 mars 2013 - N° 207
Ecrite en 2008 par Angélica Liddell, Belgrade est une pièce inédite de la dramaturge et performeuse espagnole. Julien Fišera la met en scène, éclairant cette matière textuelle à la lumière de ses propres enjeux de créateur.
Accroche : « C’est cette question du rapport entre l’ancrage documentaire et l’intimité qui m’intéresse. »
Comment avez-vous décidé de monter cette pièce ?
Julien Fišera : Ecrite en espagnol, Belgrade a été traduite en français, et les Editions Théâtrales ont pris le risque de la publier avec le soutien de la Maison Antoine-Vitez. C’est comme ça que je l’ai découverte, et j’ai tout de suite été emballé. A l’époque, je ne connaissais pas le travail d’Angélica Liddell. C’est d’abord le texte qui m’a ému. Ensuite je suis allé voir ses spectacles, et j’ai été impressionné par son travail de performeuse et de metteur en scène. Dans l’œuvre de Liddell, Belgrade occupe une place très particulière : c’est un texte très écrit, à la vraie singularité. Angélica Liddell n’y apparaît pas à la première personne, au contraire de ce qui se passe souvent dans son théâtre. Cela a facilité le fait que je puisse l’aborder dans une approche différente de la sienne. Le texte est une matière. « Tu peux t’en emparer comme tu veux », m’a dit Angélica Liddell. J’ai donc pu m’y engager avec les enjeux qui sont les miens. Mais, en même temps, cette pièce se rapproche du reste de son œuvre dans la mesure où on y retrouve l’articulation entre la souffrance intime et la douleur du monde, comme dans La Casa de la fuerza, où la rupture amoureuse s’articulait à la guerre au Proche-Orient.
Que raconte la pièce ?
J. F. : L’histoire de Baltasar, trentenaire travaillant pour le compte de son père, spécialiste des conflits balkaniques, qui l’envoie, en mars 2006, à Belgrade pour y recueillir les témoignages d’habitants de la ville. Baltasar arrive à Belgrade au moment des funérailles de Slobodan Milošević. Différentes rencontres amènent Baltasar à mettre en perspective sa compréhension de la situation politique et sa propre identité. La pièce se rabat sur l’intime. Baltasar rentre en Espagne et règle ses comptes avec son père. On part donc de la situation sociopolitique de Belgrade en 2006 et on bascule vers l’interrogation sur la position étouffante et totalitaire du père dans la cellule familiale. La première partie, qui pourrait paraître documentaire, conduit donc à l’universel d’une interrogation sur l’amour filial, la figure du père et la question de la transmission. C’est cette question du rapport entre l’ancrage documentaire et l’intimité qui m’intéresse.
Quel traitement scénique en proposez-vous ?
J. F. : La question de la représentation de l’émotion est au cœur de mon théâtre. Le risque récurrent était celui de l’illustration : en aucun cas il ne fallait décrire Belgrade et sombrer dans le folklorique. Avec la scénographe, architecte de formation, nous avons donc mis au point un système de quatre modules qui se déplacent sur le plateau. Le décor est un soutien à l’imaginaire. Au final, on a un spectacle assez graphique, à l’esthétique dessinée. Le texte impose un théâtre physique de la dépense, qui exige que le comédien soit à cent pour cent dans les mots. Je demande donc aux comédiens un fort engagement physique, pour retrouver l’émotion qui passe dans les mots en dehors de ce qu’ils signifient dans l’écriture, la scansion ou la mélodie imposée par l’auteur. Cette pièce a une forte portée cathartique. Si elle fonctionne, il faut qu’à la fin, le spectateur soit un peu déplacé. On n’est ni dans la dénonciation ni dans le surplomb, mais dans un théâtre qui nous amène à réfléchir sur notre présent et à inventer une autre façon de vivre avec les humains.
Propos recueillis par Catherine Robert
A propos de l'événement
Belgradedu lundi 18 mars 2013 au vendredi 22 mars 2013
La Comédie de Saint-Etienne (L’Usine)
7, avenue du Président Emile Loubet, 42000 Saint-Étienne
Du 18 au 22 mars 2013 à 20h. Tél. : 04 77 25 14 14. Tournée 2013 : du 28 mai au 1er juin et en octobre au Théâtre de Vanves ; en septembre 2013 au festival BITEF, à Belgrade ; en octobre 2013 au Le Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon.