La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Entretien Jean-Louis Martinelli
Le théâtre n?a d’autre finalité que de dire l’indicible

Premier concert en France de ce chanteur phénoménal ayant déjà conquis l’Europe.

Publié le 10 mars 2007 - N° 146

Les uns ont soudain trébuché sur un caillou du destin, les autres suffoquent
depuis longtemps à c’ur ouvert dans l’air vicié des normes de sociabilité. Tous
trahissent un mal vivre dans la communauté. A l’abri de ce foyer d’un hôpital
psychiatrique, une quinzaine d’hommes et de femmes témoignent de leurs ruptures,
de leurs douleurs. Sept ans après la magistrale mise en scène de Catégorie
3.1
, Jean-Louis Martinelli, directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers,
retrouve l’auteur suédois Lars Norén avec Kliniken, pièce inédite qui
brosse un tableau terrible et vivifiant de la société actuelle.

Kliniken rassemble dans ce huis clos des êtres qui souffrent de maux
différents, plus ou moins sévères. En quoi la pièce esquisse-t-elle une
métaphore de la société ?

Lars Norén donne un éclairage sur l’état du monde en regardant la marge, en
observant les lieux les plus symptomatiques. En fait, la plupart de ceux qui se
retrouvent dans cet hôpital psychiatrique ne souffrent pas de pathologies
cliniques lourdes mais ont simplement, à un moment, connu une difficulté, plus
ou moins grave, un accident de parcours, une rupture, qu’ils n?ont pas pu
surmonter. Ils ont dérapé, peut-être parce qu’ils sont plus sensibles que
d’autres, plus blessés, peut-être parce qu’ils portent des traumatismes de
l’enfance ou qu’ils n?ont pas su faire leur place dans la société. Ces êtres
malmenés par la vie sont des révélateurs du corps social. Ils sont très proches
de tout un chacun. Il suffit d’un pas de côté pour glisser.

La parole apparaît cependant finalement plus libre entre ces personnes’

Elle est certainement plus ouverte que chez les « normopathes », comme dirait
le psychiatre et psychanalyste Jean Oury, qui ont intégré le contrôle social de
la parole et des sensations. Dans la pièce, le personnel soignant est
quasi-absent. La thérapie se pratique par le groupe, de malade à malade, sans
complaisance. Dans cette confrontation mutuelle, ils parviennent à dirent
l’indicible, à nommer leur souffrance. Pour certains, l’hôpital est un endroit
de révélation à soi.

Ce texte relève, à sa manière, du théâtre documentaire. Comment Lars Norén se
saisit-il du réel et le restitue-t-il ?

Tout comme Catégorie 3.1, Kliniken ne suit pas une logique linéaire
narrative mais procède par fragments. Tel un musicien prélèverait des sons dans
la réalité et les agencerait pour écrire sa partition, Lars Norén reconstruit et
transpose le réel, avec un art de la composition et de la polyphonie d’une
remarquable finesse. Par petites touches, strates successives, conversations
croisées et jeux d’échos, il finit par dessiner le portrait de chacun des
patients au point qu’on a le sentiment de les connaître. « Je peux rendre la
matière de la vie sans l’humilier
 » dit l’un d’eux. C’est exactement ce que
fait Lars Norén.

 « Ces êtres malmenés par la vie sont des révélateurs du corps
social. Ils sont très proches de tout un chacun. »

On sent aussi poindre une ironie dans l’écriture?

Je considère Lars Norén comme un de nos grands auteurs ironistes, à l’instar
d’Heiner Müller ou de Thomas Bernhard. Les personnages pleurent et rient
d’eux-mêmes. Cette ironie, qui fuse de leurs paroles mêmes, vient désamorcer le
pathos. Ce théâtre-là ne tombe pas dans la vision désespérante du « no future ».
Il fait montre au contraire d’une immense tendresse envers les êtres.

Comment l’esthétique peut-elle éviter de « faire spectacle » de la misère du
monde ?

Deux écueils menacent avec des pièces telles que Kliniken. D’une part,
condescendre au misérabilisme, au besoin éperdu de consolation. D’autre part,
céder à l’esthétisme, à la manière de ces grands couturiers qui ont repris le
style « clodo » dans leurs défilés et vendent leurs créations à prix d’or. L’un
comme l’autre de ces travers confinent à l’indécence. Pour les esquiver, il me
semble essentiel d’écarter tout vérisme et de s’inscrire dans l’espace du
théâtre, dans la représentation. Par ailleurs, le public ne doit pas être placé
en situation de voyeur mais en témoin de ces processus d’exclusion et de mise à
la marge. Le théâtre n?a d’autre finalité que d’ouvrir un espace de questions,
que de dire l’indicible.

La représentation de l’univers psychiatrique est cependant bordée de clichés.
Comment avez-vous travaillé avec les comédiens ?

La pièce exige beaucoup de pudeur. Les gens qu’elle met en scène ne sont pas
des corps étrangers. Nous avons cherché à éviter les archétypes de la folie et
le jeu pathétique naturaliste. Le travail a porté sur la choralité de l’écriture
qui demande à l’acteur d’investir la relation interindividuelle tout en étant
constamment à l’écoute de tout ce qui survient alentour. Le rythme d’ensemble
prime sur les trajectoires individuelles, donc sur l’ego?

Entretien réalisé par Gwénola David

Kliniken, de Lars Norén, mise en scène de Jean-Louis Martinelli, du 6 mars au
8 avril, à 20h30, sauf dimanche à 15h30, relâche lundi, au Théâtre
Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, 92022 Nanterre. Rens. 01 46 14 70 00
et www.nanterre-amandiers.com. Le texte est publié aux éditions de L’Arche.

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