La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Maison de Bernarda Alba

<p>La Maison de Bernarda Alba</p> - Critique sortie Théâtre
Légende photo : Mizikopéyi a reçu en juin dernier le prix SACEM 2009. Crédit : L.Vielet

Publié le 10 mars 2007 - N° 146

Andrea Novicov signe une mise en scène originale sur la pièce de Garcia Lorca

Voilà une bien belle surprise que ce spectacle que nous offre Andrea
Novicov ! Car s’attaquer à La Maison de Bernarda Alba de Garcia Lorca,
?uvre fort à la mode à la grande époque du féminisme militant, peut receler bien
des pièges. Dans cet ultime drame qu’il écrivit dans les prisons franquistes en
1936, quelques mois avant d’être fusillé par la Phalange, le poète dénonce en
effet avec force les funestes carcans de la société rurale espagnole où « naître
femme est la pire des punitions
 ». Objets convoités à mesure de leur dote,
rangés aussitôt après la noce dans la boîte à couture, les jeunes filles n?ont
plus qu’à s’épanouir dans les langes et à crocheter leur liberté dans les trous
de leurs dentelles pour le restant de leurs jours, sous le regard castrateur du
qu’en-dira-t-on. A moins de préférer s’étioler à petit feu dans le célibat. Tel
s’annonce le destin qui attend les cinq filles de Bernarda Alba, marâtre
desséchée qui décide, à la mort de son mari, de les cloîtrer pour un deuil de
huit ans. Seule l’aînée, déjà flétrie par la quarantaine approchante mais
richement dotée, pourra échapper à ce sort : Pepe le Romano, le plus bel homme
du village, a demandé sa main.

Marionnettes humaines

Tandis que la future mariée brode déjà son avenir de jolis fils dorés, les
s’urs claquemurées broient leurs ressentiments amers en fantasmant. Condamnées à
épier le soleil de la vie par l’embrasure des jalousies, elles attendent le
chant des moissonneurs comme des abeilles guettent le miel. Sauf la plus jeune,
Adela, qui refuse sa camisole et s’évade la nuit dans les bras scandaleux de
Pepe. Dans ce bourg d’Andalousie écrasé par la moiteur de l’été, le désir suinte
sous les jupes, infiltre son venin dans les plis du cerveau, affole les monstres
de l’imagination. La tragédie se trame à l’ombre des murs épais de ce gynécée
confiné. A rebours de tout réalisme, Andrea Novicov, et c’est là l’ingénieuse
idée, transforme les personnages en petites marionnettes humaines (mais Garcia
Lorca n?avait-il pas écrit ses premiers textes pour des marionnettes ?). Poupées
grimaçantes, pauvres jouets des conventions sociales encartés telles des Menines
dans leurs costumes d’apparat, elles tournaillent dans leur castelet façonné
comme un confessionnal. Leurs gestes, empêchés par leurs corps étriqués, leur
jeu, légèrement forcé, expriment (avec quelle maîtrise !) tout le tragique de
cette comédie grotesque et terrible. La dramaturgie, parfaitement orchestrée,
ourdit une atmosphère fébrile, vénéneuse, empuantie par les remugles de la
convoitise et le poison des mots. Ces bourgeons, dont la chair se fane avant
même que d’éclore, sont suturés par la loi patriarcale et l’obscurantisme.
L’histoire rappelle que la condition des femmes reste encore un combat à mener
dans bien des contrées.

Gwénola David

La Maison de Bernarda Alba, de Federico Garcia Lorca, mise en scène de
Andrea Novicov du 13 au 17 mars 2007 au Théâtre Jean Arp de Clamart. Rens
0141901702-www.theatrearp.com. Durée : 1h25. Une nouvelle traduction du texte
signée par Fabrice Melquiot est publiée à l’Arche. Spectacle vu à la cité
internationale en avril 2005.

A propos de l'événement


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