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Intense : c’est ce qui caractérise le [...]
Manger-danser-chanter : une triple injonction faite par Boris Charmatz à ses quatorze danseurs pour cette nouvelle création, intitulée Manger.
Tout comme votre précédente pièce, Enfant, le titre de cette création ne laisse aucun doute sur la thématique abordée. Le traitement est-il tout aussi littéral ?
Boris Charmatz : Manger est assez complexe. C’est une sorte de triple sculpture : une sculpture sonore, parce qu’ils chantent en permanence, visuelle, qui est faite de ce qu’on mange – en l’occurrence du papier -, et chorégraphique parce qu’on bouge en permanence. Ces trois niveaux d’activités s’interpellent et se mélangent du début jusqu’à la fin, et manger en constitue un des aspects.
Pourquoi avoir choisi le papier comme matière à manger ?
B. C. : Manger évoque une multitude de choses, qui vont de la malbouffe à l’anorexie, des angoisses sur les OGM à la faim dans le monde… La nourriture rassemble beaucoup d’angoisses, de désirs et de plaisirs. L’acte de manger est pour nous une métaphore de la façon dont on digère la réalité autour de nous. C’est moins un spectacle qui s’adresse à la nourriture, au rituel de la famille, qu’à notre manière de digérer le réel. On regarde les infos à la télé en mangeant des chips : on croit manger des chips mais en fait on mange les informations. Manger en famille c’est aussi digérer les relations entre ses membres, par le repas. Et le papier représente ça parfaitement. Quand on mange du papier, il devient une surface de projection : une feuille A4 blanche, où il n’y a rien d’écrit, qui devient le journal, le contrat social. Ce sont des textes, de la pensée, mais comme c’est vierge, c’est à la fois abstrait et concret.
Faites-vous apparaître la dimension culturelle de l’acte de manger ?
B. C. : Oui, et dans la pièce se côtoient des cultures différentes. Par exemple, un des danseurs, Mani Mungai, parle de son enfance au Kenya et de ce qu’il mangeait et comment. C’est au spectateur de zoomer, d’aller voir qui fait quoi et d’ aller chercher les détails, c’est là que se joue l’acte de manger. Très souvent, il est traité de manière très spectaculaire sur les plateaux, où l’on fait dire à la nourriture bien des choses. Nous avons beaucoup travaillé en retrait, en finesse, en se disant que le fait de manger était avant tout de la disparition. Cela m’intéressait aussi parce que manger est un frein, un empêchement : on ne peut pas danser en mangeant, chanter en mangeant.
Des textes accompagnent-ils les chants ?
B. C. : On puise dans plus de quatorze matériaux sonores différents. On chante a capella aussi bien des chants Renaissance que du Morton Feldman, du rock avec Sexy Sushi, The Kills ou Animal Collective, ou un poème de Christophe Tarkos. Cela ouvre des perspectives, des espaces mentaux très différents, et cela génère des types de mouvements et de danses contrastés.
A vous entendre, on a l’impression que vous vous êtes amusés. Cela va-t-il ressortir dans la pièce ?
B. C. : Ce fut vraiment une découverte et une expérience de mêler des activités aussi radicalement différentes. Pendant les répétitions, nous avons pris plaisir à travailler, même si c’est un spectacle dense qui brasse des questions difficiles, comme l’anorexie, la faim… Bizarrement, quand on a créé la pièce, beaucoup de gens ont ri, et cela a changé mon regard sur la pièce. La dimension de surprise et d’absurdité peut se révéler drôle : il y a une vraie place pour l’humour et c’est ce que l’on a découvert à la première.
Propos recueillis par Nathalie Yokel
Du 29 novembre au 3 décembre 2014 à 20h30, le 30 à 15h. Tél. : 01 42 72 22 77.
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