« J’aurais mieux fait d’utiliser une hache » par le collectif Mind the Gap interroge la fabrique du film d’horreur
Avec J’aurais mieux fait d’utiliser une [...]
Enfermés dans le lendemain de la veille, Vladimir et Estragon tuent le temps. Alain Françon dirige, en grand horloger, des comédiens éblouissants : une version passionnante de la pièce de Beckett.
« Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s’il existe. », disait Beckett à propos de ce mystérieux personnage, dont le nom répété tout au long de la pièce ne parvient pas à combler le vide que crée son absence. Inutile donc de cimenter la pièce à grands renforts d’hypothèses philosophiques : chaque spectateur projette sur le texte de Beckett ses propres angoisses et fait de Godot le croquemitaine ou le rédempteur qu’il veut. On ne sait pas qui l’on attend, on se divertit comme on peut, entre jeu et conversation, comme disait Pascal. Vladimir et Estragon croquent des carottes, songent à se pendre (puisque c’est un projet comme un autre – là encore, Pascal dixit), comparent l’odeur de leurs pieds et celle de leur haleine, rongent un os, essaient de dormir, papotent et parlotent : il faut bien s’occuper puisque rien ne vient. La mise en scène d’Alain Françon, nourrie par le travail dramaturgique de Nicolas Doutey, s’en tient donc au texte, dont chaque réplique semble nécessaire, même si tout est absurde dans ce monde sans fin, ni chronologique (puisque même la Lune fait n’importe quoi), ni téléologique. On ne sait plus à quoi s’accrocher, puisque la corde est fragile et l’arbre quasi mort.
Noblesse de se connaître misérable
Dans ce grand marasme insensé surgit pourtant l’essentiel auquel s’arrimer : la tendresse qui unit Vladimir et Estragon. Gilles Privat et André Marcon sont des athlètes de la scène, on le sait depuis longtemps. Mais dans le génie qu’ils déploient pour interpréter les deux clochards à chapeau melon, ils exploitent avec un talent sidérant toute la palette de leur jeu, du burlesque au sublime. Ces deux-là s’aiment bien, au fond, même si cela fait des lustres qu’ils attendent. On est pétrifié d’émotion devant ce vieux couple décati, qui a compris que l’on s’ennuie moins en s’aimant bien et en riant beaucoup. Leur complicité est époustouflante et l’arrivée de Guillaume Lévêque (Pozzo) et Eric Berger (Lucky) ajoute encore au plaisir patent de jouer ensemble. Peut-être est-ce là, au fond, le secret existentiel que révèle cette mise en scène : il suffit de quelques amis, d’une provision de navets, de souvenirs et de projets de voyages (en Ariège, pourquoi pas ?) pour tuer le temps avant qu’il nous tue. Que passent les brutes autoritaires, les esclaves soumis qui pensent sur commande, qu’apparaissent des bergers aux allures d’archange (Antoine Heuillet) pour annoncer l’Evangile, peu importe ! L’essentiel est dans les embrassades maladroites qui permettent à l’autre de remettre ses godasses… La lumière qui émane des visages de Gilles Privat et André Marcon est bouleversante : elle brille avec éclat dans l’ambiance crépusculaire qui confond la terre et le ciel (très beau décor de Jacques Gabel, très belles lumières de Joël Hourbeigt). Si le ciel est vide, restent les hommes : ceux-là, grands de se connaître misérables près de cet arbre qui ignore sa finitude, sont très beaux !
Catherine Robert
Du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 17h. Représentations supplémentaires le 11 mars et le 8 avril à 15h. Relâche le 26 mars. Tél. : 01 40 03 44 30. Durée : 1h30.
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