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Théâtre - Critique

Emmanuel Gaury met en scène « Eurydice » de Jean Anouilh, un texte qui porte encore

Emmanuel Gaury met en scène « Eurydice » de Jean Anouilh, un texte qui porte encore - Critique sortie Théâtre Paris _Le Lucernaire
Eurydice mis en scène par Emmanuel Gaury © Studio Vanssay

Théâtre le Lucernaire / Texte de Jean Anouilh / Mise en scène d’Emmanuel Gaury

Publié le 29 mars 2024 - N° 320

En 1941, Jean Anouilh réécrit le mythe d’Orphée et Eurydice avec des thématiques qui annoncent la suite de son œuvre. Dans la mise en scène d’Eurydice de Emmanuel Gaury, on s’aperçoit que le texte porte encore.

Qu’a donc encore à nous dire Jean Anouilh ? Et bien, pas mal de choses, répond Eurydice du fond de ses Enfers. La pièce écrite en 1941, trois ans avant le fameux Antigone, substitue comme figure centrale à la figure d’Orphée celle d’Eurydice, celle que le prince des poètes renvoie dans le monde souterrain puisqu’il ne s’est pas retenu de la regarder. Chez Anouilh, si Antigone penche plutôt du côté de la raison pragmatique des adultes, Eurydice verse au contraire davantage du côté de la quête d’absolu exacerbée par le jeune âge. Pièce centrée sur l’amour, sur le décalage entre ce qu’il promet et ce qu’il devient, Eurydice écorche avec cruauté le ridicule ordinaire de nos vies et trouve dans la mort la possibilité d’arrêter le sentiment dans sa forme pure, originelle et inaltérée. Passé un certain âge, on connaît la chanson, forcément plus complexe que celle que nous chante Anouilh. Mais la dégradation des idéaux demeure un axe dramaturgique fertile. Chez Anouilh, la mère d’Eurydice, comédienne de métier, se  repaît de sa relation avec son ancien amant. Le père d’Orphée vieillissant trouve son plaisir dans la nourriture. Les figures des aînés sont donc assez triviales, en décalage avec leurs enfants qui portent en eux toute la force et la mélancolie de ceux qui aspirent encore au sacré, qui visent encore l’idéal et sont bien décidés à ne jamais y renoncer.

La neurasthénie d’Orphée

Sinuant entre présent et passé, rêve, souvenir et réalité, la pièce d’Anouilh plutôt rythmée ménage un certain nombre de rebondissements. Toujours entre deux trains, entre Perpignan et Marseille, les personnages sont à la fois ceux de la comédie et de la tragédie. La neurasthénie d’Orphée, contagieuse, côtoie l’excentricité de la mère d’Eurydice, qui revêt le costume de l’extravagante comédienne égoïste et qui ne se voit pas vieillir, à la Tchekhov. Dans cette opposition entre les générations, Anouilh a eu la prescience de dévoiler les forces patriarcales (et sociales) qui s’exercent sur Eurydice, mais il colle d’un peu trop près vu d’aujourd’hui à une conception de l’amour où le sexe serait sale et la relation forcément exclusive. Le coup d’œil dans le rétro est en tout cas instructif sur ce qui change et ce qui demeure. Emmanuel Gaury a choisi de représenter la pièce en costumes d’époque, dans une économie de moyens scénographiques mais avec six comédiennes et comédiens, anciens élèves des cours de Jean-Laurent Cochet. L’interprétation est inégale, les choix musicaux posent parfois question, mais les enjeux d’un texte habile et mordant sont clairement portés et nous parlent d’hier comme d’aujourd’hui.

Eric Demey

A propos de l'événement

Eurydice
du mercredi 13 mars 2024 au dimanche 5 mai 2024
_Le Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris

à 18h30 du mardi au samedi, le dimanche à 15h. Tel : 01 45 44 57 34. Durée : 1h15.

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