La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Emmanuel Demarcy-Mota

Emmanuel Demarcy-Mota - Critique sortie Théâtre
Légende : Emmanuel Demarcy-Mota Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Publié le 10 mars 2012 - N° 196

L’imagination au pouvoir

Rares sont les surréalistes qui se sont aventurés sur le terrain du théâtre. Emmanuel Demarcy-Mota monte Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac, l’histoire étrange et transgressive d’un enfant qui a grandi trop vite.

« Cette pièce propose un vrai délire créatif. »

Que raconte cette pièce ?

Emmanuel Demarcy-Mota : Victor a neuf ans, c’est le jour de son anniversaire, et il va mourir. C’est un enfant qui a grandi trop vite, et lors de cette dernière soirée, il met à jour les scènes sexuelles qu’il a vues de son père avec la bonne et son amante. C’est un enfant dangereux, menaçant. Et de ce fait, il va être sacrifié. Anouilh, qui a monté la pièce, disait de ce personnage que c’est un Hamlet en culotte courte.

Du surréalisme, elle porte donc le caractère transgressif ?

E.D-M. : Antonin Artaud a monté cette pièce avec Vitrac. Il avait pour ce texte une grande fascination, notamment pour cet enfant destructeur qui par le langage révèle une vérité qui n’est pas la réalité. La pièce a été écrite en 1928 mais dans l’action, Victor a neuf ans en 1909. C’est en quelque sorte l’enfant du siècle. Son nom évoque Vitrac et la victoire de 1918, et la pièce est porteuse de ce rejet des principes moraux, de cet appel à la liberté d’un mouvement très en prise avec une société qu’il provoque.

Ce caractère subversif du surréalisme s’étend-il à une remise en cause de l’esthétique théâtrale ?

E.D-M. : Le premier cycle de pièces de Vitrac s’intitulait « théâtre de l’incendie ». Ici, les valeurs sont renversées, l’étrange et le familier, le normal et le pathologique se rejoignent, haut et bas, gauche et droite cessent d’être perçus de manière contradictoire. Mais s’il propose une subversion du drame bourgeois, Victor… s’ancre aussi dans un espace conventionnel avec des personnages que l’on pourrait retrouver chez Feydeau. Mais j’ai choisi de m’en éloigner afin que se confondent aussi l’intérieur et l’extérieur, que par exemple, le salon se mêle à la végétation, comme l’énigmatique et le surréel envahissent petit à petit l’ensemble de la pièce.

Avec Victor…, le théâtre surréaliste se fait donc aussi révolutionnaire que le mouvement pouvait l’être ?

E.D-M. : Lorsque j’ai proposé cette pièce aux acteurs, j’ai été frappé par le fait qu’elle les fascinait, sans doute parce qu’elle activait chez eux un désir de révolte interne. Tout en jouant avec les codes du théâtre précédent, Vitrac les fait imploser. Cette pièce propose un vrai délire créatif, délie les forces de l’invention, de l’imagination et ce n’est pas un hasard si le terme “enfants“ est au pluriel dans le titre de la pièce. Il ne s’agit pas de donner le pouvoir qu’à Victor, mais bien à l’imagination, aux surréalistes, les enfants de cette époque.

Et sur le plan de l’écriture ?

E.D-M. : A un moment, Victor dit « j’ai neuf ans et je suis neuf ». C’est un exemple parmi d’autres d’une écriture où l’inconscient affleure, qui fonctionne par plaisir associatif, comme l’écriture automatique. C’est Victor qui dans cette pièce amène la poésie, à travers de grands poèmes assez délirants qui font basculer la réalité. Il invente par exemple le personnage d’une femme pétomane d’une grande beauté. Et si l’on retrouve là l’influence de Jarry, cette pétomane annonce aussi à une autre qu’elles se sont connues mais qu’elles ne se reconnaissent pas. S’entame alors une scène qui montre que Vitrac annonce très clairement le théâtre de Beckett et de Ionesco.

Finalement, cette force et ce désir de liberté,  plus discrets à l’aube de ce nouveau siècle, vous ont poussé à monter cette pièce…

E.D-M. : Je l’ai montée parce que j’aime au théâtre les auteurs qui reposent la question du spectateur. Artaud imaginait de grands cadres vides en avant-scène parce que, dans cette pièce, le spectateur se retrouve en position de voyeur. On y traite de désir inconscient, de désir inavoué et de l’impossibilité d’avouer le désir. Mais aussi parce que, à l’inverse de la société d’aujourd’hui où tout est supposé circuler,  s’y rencontrent deux mondes qui ne peuvent pas entrer en communication : celui des enfants et celui des adultes. Et enfin, parce qu’à travers le langage, la parole peut agir sur de différentes perceptions. En un rien de temps, la même parole peut provoquer le rire et l’effroi. Pour l’acteur, cela implique un travail extraordinaire puisqu’en même temps qu’on travaille sur du réel, on sait que quelque chose doit apparaître à l’intérieur de l’être.

Propos recueillis par Eric Demey


Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota. Du 6 au 24 mars au Théâtre de la Ville, 2 place du Châtelet, Paris 4ème. Tél : 01 42 74 22 77

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre