La Terrasse

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Théâtre - Critique

Du mariage au divorce

Du mariage au divorce - Critique sortie Théâtre
Crédit : Michel Corbou Légende : « M. Chouilloux (Eric Elmosnino) parle de ses maux d’intestins à Mme Follavoine (Dominique Valadié) devant M. Follavoine (Gilles Privat). »

Publié le 10 janvier 2011 - N° 184

Après les joies de La Dame de chez Maxim (1990) et celles de L’Hôtel du Libre-Échange (2007), Alain Françon fait un retour doux-amer à Feydeau avec Du mariage au divorce, quatre pièces d’une Belle Époque pas si belle que ça.

Les contes pour enfants se terminent avec le mariage du prince et de la princesse : « Ils furent heureux et ils eurent beaucoup d’enfants ». Aux XIX e et XX e siècles, le concept désenchanté du mariage est l’objet de prédilection du théâtre de boulevard et du roman bourgeois qui le tournent en ridicule. Le ressort comique est inusable. La dénonciation accuse la conformité de la femme à un idéal désuet qui l’empêche de vivre intimement ; le mariage est un obstacle à la liberté des sentiments. La volonté d’égalisation des conditions a désacralisé le rite : profession indifférenciée de l’homme et de la femme, réseau commun de relations sociales, revendication de la liberté sexuelle, partage objectif de la garde des enfants et de la sphère de la cuisine. Avec Feydeau, le retour en arrière s’impose, même s’il travaille la révolte de l’intérieur avec un bon don de prophétie avant-gardiste. Les comédies de mœurs en un acte, On purge Bébé, Feu la mère de Madame, Léonie est en avance ou le Mal joli, Mais n’te promène donc pas toute nue !, écrites autour de 1910, ne traitent pas directement du contrat qui unit deux coeurs pour la vie. L’attaque est implicite dans l’art secret de la farce, la comédie, la cocasserie, et à travers le décalage avec la bienséance, le porte-à-faux des situations, la caricature, les bons mots. Ce théâtre physique de répliques propulsées impose sa loi. Françon installe ses personnages – de beaux comédiens tout terrain – dans un bureau ministériel de la Belle Époque.
 
Gouffre de la bêtise
 
L’évaluation péjorative de l’auteur « charge » plutôt les femmes dont l’hystérie accuse la mauvaise foi, tandis qu’elle épargne un peu plus les hommes irresponsables et lâches. Dans On purge Bébé, Dominique Valadié – Mme Follavoine – est fagotée en souillon, mais elle reste gracieuse quand elle remonte ses bas de ballerine, un seau de toilette et d’eaux sales à la main. Mme Follavoine vient se plaindre auprès de M. Follavoine (Gilles Privat), fabricant de pots de chambre en porcelaine, afin qu’il purge leur fils. Survient M. Chouilloux, l’homme qui doit décider de l’affaire commerciale en vue. Cet acheteur (Eric Elmosnino), loufoque car tendu, se met à parler sans complexes de ses problèmes d’intestins. Feu la mère de Madame expose Madame (Anne Benoit), épouse alitée, les couvertures remontées jusqu’au cou, abandonnée par un mari éméché (Philippe Duquesne) qui revient du bal. Et dans Léonie est en avance, la dame (Julie Pilod) souffre du mal joli, les « envies » de la grossesse : elle se satisfait en humiliant son mari (Régis Royer). Enfin, Clarisse Ventroux (Judith Henry) dans Mais n’te promène donc pas toute nue ! éprouve un besoin d’exhibition compulsif. Le député Ventroux (Éric Elmosnino) ne le voit pas de cet œil-là, car s’il devenait un jour Président…Toujours est-il que la dimension crispée du corps envahit l’espace public et social. Le gouffre de la bêtise, sa logorrhée de paroles, est sans fond. Reste le goût âcre de la médiocrité des êtres.
 
Véronique Hotte


Du mariage au divorce 1- On purge Bébé, Feu la mère de Madame

Du mariage au divorce 2- Léonie est en avance ou le Mal joli, Mais n’te promène donc pas toute nue !, de Georges Feydeau ; mise en scène d’Alain Françon. Au Théâtre Marigny à Paris du 11 janvier au 9 mai 2011. Réservations : 0 820 811 111.

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