La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon 2023-Théâtre-Critique

« Dispak Dispac’h » de Patricia Allio, des prises de conscience essentielles et nécessaires

« Dispak Dispac’h » de Patricia Allio, des prises de conscience essentielles et nécessaires - Critique sortie Avignon / 2023 Avignon Gymnase du lycée Mistral
Dispak Dispac’h, de Patricia Allio. © Emmanuel Valette

Gymnase du lycée Mistral / texte Patricia Allio, GISTI, Élise Marie et extraits de The left to die boat de Forensic Architecture / mise en scène Patricia Allio

Publié le 18 juillet 2023 - N° 312

Présenté pour la première fois en novembre 2021 au Théâtre de Lorient, l’espace de théâtre militant élaboré par Patricia Allio s’ouvre aujourd’hui à Avignon. Il y est question des droits fondamentaux des migrants et des politiques d’éloignement mises en place par les pays de l’Union européenne. Quand le théâtre nous amène à réinvestir des prises de conscience nécessaires car essentielles.

C’est un moment pas comme les autres auquel nous convie la performeuse et metteuse en scène Patricia Allio (artiste associée au Théâtre national de Bretagne) au Festival d’Avignon. Un moment rare, proprement hors du commun. Une soirée poignante qui est aussi joyeuse, car elle établit un espace de rencontre, de pensée et de partage. Cette agora citoyenne redéfinit avec beaucoup d’intelligence ce que peut être le théâtre dans notre société oublieuse et individualiste. On sort de ce Dispak Dispac’h ému et reconnaissant. On n’y apprend pourtant rien qu’on ne savait déjà. Des femmes et des hommes meurent, chaque jour, en cherchant à fuir la guerre, la misère, la violence. Selon le décompte de l’Organisation internationale pour les migrations, 27 633 personnes ont disparu en mer Méditerranée depuis 2014. En breton, Dispak signifie « ouvert, déplié, en désordre… ». Dispac’h veut dire « agitation, révolte, révolution… ». Patricia Allio ne nous appelle bien sûr pas à prendre les armes et ériger des barricades. Son geste est lumineux et sensible, tout en attestant d’une grande rigueur, d’une grande exigence de pensée. « Liberté de circulation pour toutes et tous », proclame une banderole déployée derrière l’un des gradins de cette proposition de théâtre politique qui pose comme principe intangible l’égalité entre les êtres.

Une vie douce

Évidemment, il n’est pas question ici de débat contradictoire. Les droits fondamentaux des exilés que défend Dispak Dispac’h ne sont pas discutables. L’une des ambitions affirmées par Patricia Allio est de faire de la scène un levier de résistance à l’indifférence généralisée, un outil de saisissement populaire et de réappropriation militante. Une première partie expose les fondements personnels de ce projet et énonce l’acte d’accusation rédigé, en 2018, par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (le GITIS) pour une session du Tribunal Permanent des Peuples qui s’est tenue à Paris. Elle est interprétée par la comédienne Elise Marie et le danseur chorégraphe Bernardo Montet, dans une scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy. Divers témoins et acteurs de la société civile prennent ensuite la parole au milieu des spectatrices et spectateurs installés au sein d’un dispositif quadrifrontal. Gaël Manzi, Stéphane Ravacley, Marie-Christine Vergiat et David Yambio* s’ouvrent à nous. Ils nous parlent de leur parcours, de leurs combats, des raisonnements et des sentiments qui les ont amenés à s’engager pour la défense des droits des migrantes et des migrants. Ces paroles puissantes, touchantes, tracent des chemins de fraternité et de sororité. Dispak Dispac’h nous rappelle sans surplomb, de manière simple, directe et généreuse, à nos devoirs d’hommes et de femmes : rendre possible un monde dans lequel chacune et chacun, quel que soit le pays dans lequel il ou elle naît, peut « avoir pour projet », pour reprendre les mots d’Anour, un exilé rencontré par Patricia Allio, « de mener une vie douce, une vie sans violence ».

* À l’heure où nous écrivons ces lignes, le journaliste Mortaza Behboudi, qui aurait dû prendre part à Dispak Dispac’h, est toujours emprisonné à Kaboul. Une pétition de Reporters sans frontières est en ligne pour obtenir sa libération : https://rsf.org/fr/%23FreeMortaza

Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Dispak Dispac’h
du samedi 15 juillet 2023 au vendredi 21 juillet 2023
Gymnase du lycée Mistral
20 boulevard Raspail, 84000 Avignon

à 19h, relâche le 19 juillet. Durée : 2h45. Tél : 04 90 14 14 14.

Egalement les 4 et 5 octobre 2023 à La Criée – Théâtre national de Marseille, du 21 au 31 mars 2024 au Théâtre Silvia Monfort à Paris, du 9 au 13 avril au Théâtre national de Bretagne à Rennes, les 17 et 18 avril à la Comédie de Caen, du 23 au 25 mai à la Comédie de Valence, les 30 et 31 mai à La Passerelle – Scène nationale de Saint-Brieuc.

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