La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Disgrâce

Disgrâce - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre national de la Colline
Le metteur en scène Jean-Pierre Baro. Crédit : Emilie Arfeuil

Théâtre national de la Colline / d’après John Maxwell Coetzee / mes Jean-Pierre Baro

Publié le 25 octobre 2016 - N° 248

Jean-Pierre Baro porte à la scène Disgrâce, un roman du Prix Nobel de littérature 2003, John Maxwell Coetzee. La descente aux enfers d’un père projeté dans un monde qui lui échappe.  

Qui est David Lurie, le personnage central de Disgrâce ?

Jean-Pierre Baro : C’est un Afrikaner, un homme blanc qui vit dans l’Afrique du Sud postapartheid. Je dis qu’il est blanc, mais je tiens à préciser que l’une des forces de l’écriture de Coetzee est de ne jamais révéler explicitement la couleur de peau de ses personnages. David Lurie enseigne la poésie romantique à l’université du Cap. Ce quinquagénaire est un jour accusé de harcèlement sexuel par l’une de ses étudiantes. Et une fois de plus, comme pour la couleur de peau des personnages, ici, rien n’est clair. On ne sait pas vraiment s’il s’agit d’une agression ou si la jeune femme était consentante. C’est d’ailleurs ce qui est passionnant pour un metteur en scène. Dans Disgrâce, on est toujours à un endroit de trouble et de non-dit : il faut montrer sans montrer totalement.

« Coetzee nous pose des questions tellement extrêmes, qu’il crée en nous un choc de la pensée. »

Suite à cette accusation, ce professeur quitte l’université et part vivre chez sa fille…  

J.-P. B. : Oui, chez sa fille qui est lesbienne. Elle tient une exploitation agricole, à la campagne. On devine qu’ils ont eu des relations compliquées. David Lurie ne comprend pas ce qu’elle est, se demande s’il a manqué quelque chose dans son éducation. Disgrâce nous montre le monde à travers son regard. Mais parfois, on n’a pas du tout envie de regarder le monde à travers lui. Car c’est quelqu’un de complètement aveugle, qui ne voit pas que son environnement a changé. Quelqu’un qui, pendant des années, a mené une vie tout à fait normale alors que des gens étaient spoliés par le système de l’apartheid. David Lurie ne s’intéresse pas à ce qui se passe autour de lui. Il s’en tient à ses propres intérêts.

Puis un jour sa fille est victime d’un viol…

J.-P. B. : Oui, des hommes noirs entrent chez eux, violent sa fille et lea brûlent au visage. Disgrâce, c’est la chute, la descente aux enfers de David Lurie. Une fois de plus, le roman ne nous dit pas que ces violeurs sont Noirs, mais on le devine, car sa fille refuse de porter plainte. Elle dit que si son agression est le prix à payer pour assumer les crimes de ses pères, elle est prête à le payer. Coetzee explore un rapport profond à l’homme, à la violence faite aux femmes, aux relations de pouvoir… Il fait une différence entre les termes de responsabilité et de culpabilité – chose qui m’intéresse beaucoup, notamment par rapport aux événements que nous vivons en France depuis deux ans.

Votre mise en scène éclaire-t-elle ce parallèle entre Disgrâce et la situation dans notre pays ?

J.-P. B. : Non. Je n’ai pas eu envie de décontextualiser le roman pour parler de la France. Je crois que les échos se font tout seuls. On comprend souvent mieux sa vie en passant par l’écart que constitue l’autre. Pour moi, l’Afrique du Sud est l’épicentre du colonialisme européen des XVIIIème, XIXème et XXème siècles. A travers cette création, j’ai cherché à troubler les gens. Et à me troubler moi-même. Coetzee nous pose des questions tellement extrêmes, qu’il crée en nous un choc de la pensée.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Disgrâce
du samedi 3 décembre 2016 au samedi 3 décembre 2016
Théâtre national de la Colline
15 Rue Malte Brun, 75020 Paris, France

Du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h, le dimanche à 16h. Tél. : 01 44 62 52 52. www.colline.fr

Egalement du 7 au 9 décembre 2016 au Théâtre de Sartrouville, le 17 janvier 2017 à la Scène nationale de Lons-le-Saunier, le 2 février au Centre dramatique de Normandie-Vire, le 7 février à la Scène nationale de Niort, le 9 février au Théâtre de Saintes.

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