La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Tableau d’une exécution

Tableau d’une exécution - Critique sortie Théâtre Lyon Célestins
Claudia Stavisky

Les Célestins / de Howard Barker / traduction Jean-Michel Déprats / mes Claudia Stavisky

Publié le 25 octobre 2016 - N° 248

Avec une formidable équipe de comédiens, Claudia Stavisky fait entendre ce texte d’Howard Barker qui interroge la relation entre l’essence de l’art et le pouvoir politique. A Venise en 1571, juste après la Bataille de Lépante.

Claudia Stavisky : Pour les acteurs comme pour moi, c’est un grand privilège de travailler sur ce texte. Je l’ai découvert en 1998 alors qu’il n’était pas encore édité, et j’ai été totalement subjuguée à sa lecture. Hélène Vincent avait alors obtenu les droits, et lorsque j’ai été nommée aux Célestins en 2000, j’ai programmé sa version afin de faire connaître cette œuvre. Je suis très heureuse de la mettre en scène aujourd’hui ! Etrangement, Howard Barker n’a guère été monté et demeure méconnu. Peut-être effraie-t-il par sa façon de ne délivrer aucun message réconfortant ou séduisant… Cette langue est extraordinaire : il n’y a pas de gras du tout, il n’y a que du muscle. C’est une langue de la pensée en mouvement. Cet aspect se rapproche d’Edward Bond et de ses situations de tension. Difficile à se mettre en bouche au départ, très écrite, profondément poétique, parfois lyrique, la langue devient ensuite pour les acteurs d’un incroyable naturel, totalement orale. Le politique y croise l’intime, et cet entrelacement laisse libre cours à tout le feu des passions, à des aspérités brutales, charnelles.

« Cette langue est extraordinaire : il n’y a pas de gras du tout, il n’y a que du muscle. »

Comment intervient la Bataille de Lépante dans l’intrigue ?

C. S. : A Venise en 1571, le pouvoir politique commande un tableau monumental à une femme peintre, Galactia, pour commémorer cette bataille qui marque la victoire de la marine vénitienne sur l’Empire ottoman. Au lieu de glorifier la puissance de la Sérénissime et la victoire de la chrétienté, Galactia peint la réalité de la guerre dans toute sa brutalité et sa crudité, montrant le sang et les corps déchiquetés. Pour la première fois, les bateaux étaient équipés de rangées de canons, et c’est ce qui explique qu’en quelques heures des milliers de victimes périrent. Cette bataille marque donc aussi la victoire de la modernité sur le monde ancien. Le tableau scandaleux choque les commanditaires, il entraîne de vifs débats sur l’essence de l’art et les impératifs du pouvoir. La vingtaine de scènes qui constituent la pièce confrontent plusieurs réalités imbriquées. L’exécution du tableau avance au fil du temps, et déploie un questionnement profond sur la relation entre monde artistique et monde politique, entre création et féminité, entre liberté et emprisonnement de l’esprit…

Quelle scénographie et quels comédiens portent le texte ?

 C. S. : La pièce se joue dans un espace unique qui est l’atelier de l’artiste, où Galactia travaille sans cesse, et qui peut aussi devenir abstrait pour accueillir l’ensemble des scènes. Christiane Cohendy interprète Galactia, qui est une femme mûre. Elle se régale avec ce rôle ! C’est une artiste accomplie, à la vie bien remplie. J’aime son jeu puissant et concret. Une dizaine de comédiens l’accompagnent – David Ayala, Geoffrey Carey, Eric Caruso, Sava Lolov, Simon Delétang, Valérie Crouzet, Philippe Magnan, Mickaël Pinelli, Anne Comte. Le personnage central, c’est la toile qui se fabrique sous nos yeux, et dont le destin s’accomplit lorsqu’elle est achevée.  

Comment s’articule la relation entre art et pouvoir ?

C. S. : Howard Barker dévoile un kaléidoscope de regards autour de ce thème central de la création artistique. La fin de la pièce, inattendue, concise et ouverte, est à cet égard le point culminant de l’intelligence de la pièce, qui évite tout manichéisme en s’attachant au monde réel. Howard Barker s’inscrit contre l’unicité du regard, et j’apprécie dans son œuvre cette complexité et cette multiplicité des messages. Il s’est inspiré du foisonnement intellectuel et des débats politiques, philosophiques, esthétiques et scientifiques qui ont nourri la Renaissance. Ce qui est passionnant, c’est que les personnages sont tous complexes. Galactia bien sûr, femme et artiste libre et jusqu’au-boutiste, inspirée à Howard Barker par l’une des deux femmes peintres de la Renaissance, Artemisia Gentileschi (1593 – v. 1652), qui vivait à Rome. Le Doge, autorité politique, qui aime véritablement l’art et les artistes. Le Cardinal même, représentant de l’Inquisition, qui pourrait être abject et se révèle lui aussi complexe. Le peintre Carpeta, amant de Galactia, personnage de tragédie laminé par les mécanismes du pouvoir. Et la pièce mène aussi une réflexion très actuelle sur la manière dont s’exprime la puissance des gouvernants aux yeux d’une société, sur l’instrumentalisation et la récupération de l’image à des fins politiques. C’est une œuvre formidable !

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Tableau d’une exécution
du mardi 15 novembre 2016 au mercredi 7 décembre 2016
Célestins
4 Rue Charles Dullin, 69002 Lyon-2E-Arrondissement, France

à 20h sauf dimanche à 16h, relâche lundi. Tél : 04 72 77 40 00.

 

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